C'est le printemps : tandis que les feuilles repoussent et que fleurs et vieilles dames s’étalent sur le sol, la présidente de Reconstruire l’École, n’écoutant que ce qui lui reste de courage, entreprend, après avoir expédié le cas Fillon (1), de passer à la deuxième victime, le fidèle, le fier, le même un peu farouche, charmant, jeune, traînant tous les cœurs après soi, tel qu'on dépeint les dieux … je vous le donne en quatre, je vous le donne en dix, je vous le donne en cent, bref, le gentil Emmanuel Macron.
Ce qu’il y a de bien avec ce jeune homme – je peux l’appeler ainsi puisque j’ai l’âge de sa mère c'est-à-dire celui de son épouse, c’est qu’il fait vraiment gendre idéal, quelque chose entre Jacques Dutronc en phase pré-coke et Leonardo di Caprio avant le peanut-butter.
Stratégie marketing ou coïncidence, Christophe Brunelle, professeur d'anglais et fondateur des Profs avec Macron, qui représentait son candidat lors des auditions organisées le 25 mars dernier à l’ENS par le Collectif Condorcet (2), est tout aussi choucard, sympathique et pour tout dire trop gnon. Lisse, gentil, constructif. Attentif. Pas agressif pour deux sous : ce n’est pas désagréable, avouons-le. Mais peut-être trompeur.
Mais je m’égare, je m’égare, passons aux faits, c'est-à-dire aux propositions d’En Marche pour l’école. C’est dire, comme nous l’avons fait pour M. Fillon, que nous ne parlerons ni de soussous, ni de madame, et encore moins d’une vie privée qui ne regarde personne. Pour éplucher le programme de M. Macron, j’ai donc soigneusement visionné la prestation de Chr. Brunelle et pris connaissance de quelques textes -- dont la lettre ouverte du candidat aux enseignants (3) -- et articles sur la toile, dont je donnerai les références au fur et à mesure de ce compte rendu.
A priori, tout dans ce programme est fait pour n’affoler qui que ce soit, et le mot d’ordre semble en être « juste milieu », expression utilisée à plusieurs reprises par M. Brunelle.
In medio stat virtus, dit le proverbe latin. Voyons donc.
On sent souvent la patte de Bayroudoudou dans des objectifs tels que le « retour aux fondamentaux », lire écrire et compter du préscolaire au primaire (même si l’on peut objecter que le préscolaire est sans doute trop tôt pour commencer à lire …), la diminution à 12 des effectifs en REP et REP+ (avec 6000 postes à créer), un bilan annuel des difficultés pour tous les élèves de la grande section à la fin du collège, le retour des dispositifs d’accompagnement éducatif après la classe et des études dirigées.
Qui pourrait refuser les 3000€ d’augmentation pour la prime des enseignants en REP, l’octroi de trois jours annuels de formation continue adaptés aux besoins rencontrés dans les classes, 50% de bio et de circuit court dans la restauration scolaire, ou la création de centres artistiques dans les établissements ? Qui pourrait se prononcer contre un statut des AVS et un effort particulier pour la scolarisation à domicile d’enfants trop handicapés ou trop malades pour pouvoir se déplacer ? Comment ne pas partager le constat établi par Chr. Brunelle, pour qui le tort de Mme Vallaud-Belkacem a été de ne pas avoir écouté les professeurs, et d’avoir mené sa réflexion avec les pédagogistes sans passer par les enseignants de terrain ? Et même si cela peut faire sourire, difficile de ne pas trouver intéressante l’idée d’un pass-culture de 500€ qui permettrait à tous les élèves de France d’accéder sans débourser aux nourritures intellectuelles de leur choix. Comment ne pas se sentir soulagé en entendant M. Brunelle expliquer que le latin, le grec et les bilangues seront rétablis en collège, rendant de fait caduque une bonne part de la délétère raiphorme ? Qui pourrait dire non à la création de 80.000 places en filière courte, IUT, BTS et licence pro, pour ce qui est de l’enseignement professionnel ?
-- Vous convertiriez-vous donc à l’extrême-centre, chère Présidente ?
Ne serait-ce que pour une raison majeure : sauf erreur de ma part, M. Macron n’envisage d’ABROGER ni la réforme collège 2016, ni celle du lycée (Chatel-Descoings), et propose, en réduisant à quatre le nombre des épreuves finales du baccalauréat, d’y introduire une large part de contrôle continu, ce qui peut légitimement inquiéter.
Bref, à côté des mesures globalement consensuelles énumérées dans la lettre ouverte, d’autres font problème, en particulier ce terme d’ « AUTONOMIE », employé aussi souvent que « juste milieu » et présenté comme le dépassement dialectique entre l’existant et le souhaitable. Comme la langue d’Ésope, c’est la meilleure et la pire des choses : la meilleure si elle libère les initiatives et les énergies, la pire si elle exacerbe les concurrences et renforce les inégalités entre les établissements -- ce que je crains fort pour ma part.
Exemple, les rythmes scolaires en primaire, qui épuisent les enfants et ruinent la plupart des municipalités en activités périscolaires budgétivores : autonomie, ce sont les municipalités qui décideront au coup par coup, suivant que dans leur ville « ça fonctionne » ou pas. « Aujourd'hui, on a des communes qui sont dans l'impasse, financièrement et en terme d'organisation. Je suis pour le pragmatisme. Les départements et les communes sont quand même le lieu d'organisation de tout cela, je suis pour laisser la liberté de sortir du dispositif quand il est considéré comme inefficace et non pertinent.(4)»
Que ce pragmatisme revendiqué en arrive à rompre l’égalité entre les élèves sur l’ensemble du territoire ne semble pas effleurer le candidat : mystère de l’autonomie et autonomie du mystère.
Autre exemple, celui de l’enseignement professionnel : dans un souci de mise en place de procédures d’alternance et de pré-apprentissage dans tous les lycées pro, les branches professionnelles seront impliquées dans les programmes. Jusqu’à quel point ? Autonomie !
Pour ce qui est du recrutement des enseignants, terrain glissant s’il en est, il ne sera pas stricto sensu le fait du chef d’établissement, mais en éducation prioritaire chaque collège publiera son projet pédagogique afin que les professeurs puissent postuler en toute connaissance de cause : de facto, extension des postes à profil ? Autonomie, autonomie vous dis-je !
Bref, le cadre national est lentement mais sûrement perdu de vue, tout comme l’égalité républicaine sur l’ensemble du territoire.
Quant à l’évaluation des enseignants, on peut s’interroger sur la pertinence de la confier aux parents et même aux élèves(5), quand on sait à quel point la moindre cabale peut rapidement dégénérer en catastrophe pour le professeur incriminé, même en cas de happy end ...
Si ce n’est pas de la démagogie, ça y ressemble tout de même très fort, non ?
Enfin et surtout, pour ce qui concerne l’Université, Emmanuel Macron propose d’ « afficher des prérequis " (6) à l'entrée de toutes les formations universitaires, ce qui revient à en finir avec l'accès de droit en licence pour tous les bacheliers. Mais comment seront définis ces prérequis ? Autonomie ? Et sur quelles bases pourra-t-on évaluer que Kevin Dugenou, tout récent titulaire du baccalauréat, maîtrise ou non lesdits prérequis, surtout quand on sait qu’En Marche propose, rappelons-le, de réduire l’examen final du bac à quatre épreuves obligatoires, tout le reste se passant en contrôle continu ? Autonomie ?
Pour ce qui concerne l’Université, le programme d’En Marche, reprenant les préconisations de la CPU, propose qu’elles puissent recruter elles-mêmes leurs enseignants-chercheurs (autonomie, adieu CNU) « suivant les standards internationaux de qualité et d’indépendance, et (autonomie, autonomie vous dis-je…) « déployer librement leur offre de formation (…) à condition d'offrir une palette suffisamment large de filières et d'orientations et de favoriser les aménagements de cursus aux étudiants en stage, en alternance ou en activité professionnelle. »
« Des propositions extrêmement proches sur ce thème de celles de François Fillon », souligne malignement Aurore Abdoul-Maninroudine, la journaliste d’EducPros l’Étudiant. C’est vraiment bien la peine, chers amis de la gauche-castor, de voter Macron pour lui faire barrage !
Quant aux « nouveaux modèles de gouvernance » pour les universités, ils seront développés, ô merveille de l’autonomie, « à l'initiative des acteurs eux-mêmes et assureront une plus grande souplesse dans la composition des instances dirigeantes et dans les modalités d'organisation interne ». C’est tellement clair qu’Emmanuel Macron lui-même s’en prend les pieds dans le tapis (7) ! Certes, on pourrait considérer avec l’adage juridique latin que « De minimis praetor non curat », à ceci près que ces questions n’ont rien de « minima », surtout quand on ambitionne de faire de la recherche « une priorité nationale ».
Certes, M. Macron promet de sanctuariser le budget de l'enseignement supérieur et de la recherche, et même de faire en sorte que des moyens publics supplémentaires soient attribués « sur des bases contractuelles » selon des critères qui sont « l'ouverture sociale, la qualité de l'insertion professionnelle, les cofinancements européens et privés (c’est moi qui souligne), la performance en recherche, la politique patrimoniale ». Mais parallèlement, les sources de financement seront diversifiées, en facilitant « les possibilités de création de filiales universitaires, les capacités d'emprunt des universités ou encore les partenariats public-privé» (les fameux PPP dont on a vu à maintes reprises la nocivité).
En effet, selon un proche d’Emmanuel Macron cité par l’Obs, l’autonomie actuelle des universités « est en trompe-l’œil » : il faut donc faire un grand pas en avant, afin d’aboutir à un système différencié avec « des universités de proximité tournées vers les bassins d’emplois locaux, formant des étudiants à bac+2, et des universités de rang international à bac+5 ». Comme le note très justement Camille Stromboni du Monde (8), « cette ligne se rapproche de celle portée par Nicolas Sarkozy, d’un système distinguant des collèges professionnels unissant les formations courtes, des universités de proximité et enfin des champions de rang mondial. » Là encore, amis castors, je vous laisse à vos méditations.
Bref, un système à l’anglo-saxonne, avec une mise en concurrence des universités, certaines aussi prestigieuses que richissimes, et d’autres aussi miséreuses que celle de Rummidge, où enseigne le protagoniste de Changement de décor, le premier épisode de la cultissime trilogie de David Lodge (9). On peut se demander dans quel état les lettres et les sciences humaines, réputées fort peu professionnalisantes, s’en sortiront.
En somme et pour conclure, un projet qui se revendique consensuel, pragmatique et de « juste milieu », qui se veut à la fois moderniste et rassurant, conservateur et innovant, qui ménage à la fois la chèvre et le chou (mais il y a aussi un sérieux loup…), l’entreprise et le public, les exigences républicaines et celles du privé. Je ne suis pas du tout certaine que tout ceci fonctionne, et, à supposer que cela « marche », que les élèves y trouvent leur compte. Mais ceci est une autre histoire …