« Ou la maladie vous tuera, ou ce sera le médecin… »
Refondation, suite.
La troisième partie du rapport, intitulée « Des personnels formés et reconnus », pose plus de problèmes qu’elle n’en résout, en dépit de l’affirmation des « éléments de large consensus » qu’aurait fait apparaître sur ce sujet la Grrrrrande Concertation.
Je veux bien que « l’intégration de la formation des maîtres à l’université (soit) désormais acquise » (p. 44), et que le « niveau de recrutement au master (soit) également accepté » (ibid.), alors même que tout ceci ne va pas de soi pour toutes sortes de raisons sur lesquelles on reviendra (voir par exemple, sur le site de l’association, le texte de P. Cordoba
http://www.r-lecole.fr/iufm/place_concours_pc_2012.html ).
Le principe même d’un pré-recrutement au niveau licence n’est pas inintéressant a priori – après tout, notre génération de baby-boomers a largement bénéficié des IPES, jadis obtenus soit par concours en première année soit par admissibilité à l’ENS à bac +2, et qui ont constitué pendant longtemps un véritable vivier de professeurs. On peut toutefois s’inquiéter, sans renseignement précis sur les modalités et critères de ces nouveaux IPES, quant au niveau de connaissances disciplinaires chez les futurs pré-recrutés. Peut-il y avoir des concours de type IPES si ces « pré-recrutements » ont lieu sur critères sociaux ? En outre, s’agira-t-il de véritables pré-recrutements s’il n’y a ni traitement, ni droits sociaux, ni droit à la retraite, mais juste une indemnité d’environ 400 € s’ajoutant à la bourse jusqu’à concurrence de 900 € maxi si l’ensemble des bourses (il y en a généralement deux dont une locale) fait 500 € ? Cela ne ressemble en rien aux anciens IPES, -- à la rigueur à un poste de pion puisque les bénéficiaires de ces « nouveaux emplois-jeunes » devront s’occuper de surveillances, d’aide aux devoirs, etc. (voir sur le blog de Cl. Lelièvre l’intervention de P. Cordoba :
Il semble que les services de V. Peillon soient conscients du fait que ces 6000 nouveaux « pions » n’ont aucune chance de réussir un concours (ce fut le cas déjà des emplois-jeunes dans l’Educ nat). La solution qui semble se profiler est celle d’un concours parallèle qui leur permettrait d’être titularisés sans avoir à se mesurer aux candidats « normaux ». Encore faut-ils qu’ils réussissent la licence, ce qui est rien moins qu’évident. La CDIUFM demande qu’on « garantisse leur parcours ». Si je comprends bien, cela signifierait que leur formation reviendrait aux ESPE : ils échapperaient ainsi à la fois aux concours et aux universités, y compris pour la licence. Quelle panade… Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué, comme disait ma grand-mère ?
… Bref, bienvenue donc aux ESPE, « les nouvelles Ecoles Supérieures du Professorat et de l’Education », qui devront être « des composantes de l’université », et dont on ESPEre (désolée, je résiste à tout, sauf à la tentation, comme l’avouait Oscar Wilde) d’abord et surtout qu’elles ne reproduiront pas à l’identique les errements pédagonigologiques des défunts IUFM auxquels elles vont succéder. La suite du rapport donne en effet, on va le montrer, largement matière à s’inquiéter.
Car la première question qui se pose est celle de la professionnalisation, et elle est majeure. Enseigner, c’est « un métier qui s’apprend » (p. 44), ce que personne ne contestera, même ceux qui considèrent que c’est aussi un art : après tout, pas d’art sans technique, et comme le chantait Brassens, « sans technique un don n'est rien qu'une sale manie ».
Mais tout dépend de la manière dont ce métier s’apprend.
Le rapport nous rappelle en préliminaire que la « vocation professionnalisante » de la formation initiale « doit être affirmée », formation « (devant) marcher sur ses deux jambes, académique et pédagogique » (p. 44 toujours). L’image se veut rassurante : qui serait donc assez sot pour rêver d’enseignants professionnellement boiteux, soit de vrais savants Cosinus incapables de produire un cours qui se tienne, soit de purs pédagogues ignorantins ? Chacun sait que ces deux extrêmes n’existent que rarement, à quelques exceptions près que ma bienveillance naturelle seule m’interdit de citer …
Il n’empêche que, dans les faits, on peut se poser des questions, non seulement sur les contenus de cette formation initiale, mais encore sur le dosage entre l’académique et le pédagogique. Ne nous racontons pas d’histoires : le « niveau de recrutement au master », quoi qu’on en dise, ne signifie en aucune façon que l’étudiant est convenablement armé sur le plan académique. La preuve : si pour la première fois depuis très longtemps, les jurys de CAPES ont laissé de nombreux postes vacants, c’est parce que les candidats pourtant titulaires d’un master, ou du moins inscrits en M2, n’avaient pas les connaissances disciplinaires suffisantes. Et il suffira désormais d’être inscrit en M1 pro avec un écrit en novembre après la licence (septembre pour les professeurs des écoles) !
Or un étudiant a encore beaucoup à apprendre à ce niveau-là, qu’il se destine à enseigner dans le second degré ou en primaire, et, même si je me place d’un point de vue pédago, je vois mal comment on peut travailler convenablement la didactique d’une discipline que l’on ne maîtrise pas ou pas bien.
Or, cette formation initiale « intègr(e) le concours », ce qui m’interpelle très fort : comment ne pas être saisie de lugubres pressentiments en lisant p.45 qu’on devra « s’attacher à ce que le concours de recrutement, où qu’il se situe (note de la Pdte : niveau master, non ???? à moins qu’il ne s’agisse des pré-recrutements en licence ?) permette d’identifier, au-delà de la mesure des compétences disciplinaires, les qualités nécessaires au métier ainsi que les premiers éléments d’une professionnalisation » ?
Quand je lis en haut de la p. 45 qu’il faut « assurer la simultanéité de la formation académique et professionnelle dès la licence » (c’est moi qui souligne) et « mettre le principe de l’alternance au cœur de la formation des personnels » (ibid.), je sursaute : si je comprends bien, il est dorénavant acquis que c’est avant même le concours que prendra place la formation professionnelle en alternance, comme si l’on imposait aux étudiants de PCEM1 des stages hospitaliers afin de vérifier s’ils sont capables de poser un cathéter ou de suturer une plaie. Je plains les patients, qui n’auront jamais aussi bien porté leur nom !
L’idée des ESPE est que la formation doit se faire « en alternance » par des modules de professionnalisation en amont (licence) et tout au long du master. L’objectif est de détruire le système « successif » (d’abord la discipline puis la didactique, si didactique il doit y avoir) au profit d’un système « intégré » comme dans les « educational schools » aux Etats-Unis, où l’on n’étudie pas l’histoire ou les mathématiques mais « l’histoire pour l’éducation » ou les « mathématiques pour l’éducation », c'est-à-dire des disciplines déjà didactisées.
Je sais bien que, dans un contexte d’austérité, l’Education Nationale, même après avoir créé 40.000 postes d’ici 2014, a encore grand besoin de main-d’œuvre bon marché pour ne pas dire gratuite… mais quand même, quand même… S’agira-t-il de stages en observation, ce que l’on pourrait à la rigueur admettre, ou d’une immersion (avec tuteur, ou en responsabilité ?) au cours de laquelle on ne voit plus bien qui servirait de cobaye à qui ? La seule explication logique à tout cela, serait la mise en place de licences pro, avant même les fameux masters pro qui ont fait tellement couler d’encre à RE et ailleurs (voir par exemple, sur le site de l’association, l’article de Pedro Cordoba déjà référencé supra). Mais dans ce cas, il faudrait l’expliquer plus clairement – et nous montrer, par la même occasion, ce que l’on a prévu pour les recalés aux concours qui, avec leur licence et leur master pros, n’auront plus qu’à tenter leur chance comme vacataires avec juste leurs yeux pour pleurer sur leur précarité.
A moins que cette licence et ce master pros ne leur offrent, par un système d’équivalences ou de VAE, de vrais débouchés dans les carrières de l’animation culturelle, de l’accompagnement et du soutien scolaire, de la petite enfance, de l’intégration, du handicap … Mais là encore, il faudrait le dire nettement et ne pas prendre le risque, au nom d’une conception pour le moins discutable de la professionnalisation et de l’alternance, de jeter dans l’impasse des milliers de jeunes gens, d’autant qu’il y a déjà des écoles de formation spécialisées dans tous ces domaines. Et de toute façon il n’y a pas cinq ou six fois plus d’emplois dans le parascolaire que dans l’enseignement.
En fait, ce qui semble se mettre en place, dans la logique de ces propositions, c’est un système susceptible de reproduire, des défunts IUFM, tous les défauts et toutes les aberrations, -- avec en particulier l’omnipotente omniprésence des sciences-sic de l’éducation, même si le rapport essaie d’avancer plus ou moins masqué.
Certes, on admet (p. 44) l’importance de « reconnaître la diversité des métiers (…) donc des exigences et des cursus au sein des formations », et on entend restreindre le « curriculum commun » aux grands principes de l’Ecole républicaine, « laïcité, éthique professionnelle », « connaissance de l’Ecole et du système éducatif, des territoires et des partenaires, rôle des collectivités, relations éducation/emploi, lutte contre les stéréotypes liés aux genres » (ibid), toutes choses sur lesquelles, en bons humanistes que nous sommes, nous tomberons à peu près d’accord, -- et même, à la rigueur, sur « (l’intégration) à la formation (d’) un enseignement de sciences humaines et sociales » (p. 44 encore) pour les professeurs : comme disait un vieux médecin de mes amis à propos des cataplasmes lin-moutarde, c’est pas nocif, en tout cas pas plus que d’intégrer la dimension des « usages pédagogiques du numérique (…) aux concours de recrutement » (p. 47) ;-(
A propos de l’« éthique professionnelle », néanmoins, il serait pertinent de demander s’il est envisagé en haut lieu de pérenniser, à l’oral des concours, la fameuse épreuve de servilité dite « agir en fonctionnaire éthique et responsable » (cf., toujours sur le site de RE, désolée de me citer, http://www.r-lecole.fr/fguichardmais05.htm ), dont les Olympiens qui nous gouvernent se feraient un honneur de nous débarrasser.
Mais il est surtout permis de tiquer, et gravement, en voyant figurer dans ce « curriculum commun » des ESPE un item « mécanismes et difficultés d’apprentissage », non parce qu’il s’agit des sempiternelles sciences-sic de l’éducation – nous sommes assez conscients des rapports de forces pour avoir bien compris qu’elles sont devenues incontournables, quels que soient par ailleurs leur pouvoir de nuisance ou leur (in)validité, simplement du fait que leurs tenants, dans certains syndicats ou groupes de pression comme chez les parents d’élèves, sont désormais aux commandes – mais parce qu’il peut sembler étonnant, y compris dans une logique didacticienne, de considérer que lesdits « mécanismes et difficultés d’apprentissage » sont les mêmes, par exemple, chez l’enfant de maternelle et l’adolescent de collège. On assiste donc à la résurrection de l’apprenant abstrait aux difficultés abstraites, abstraitement éducable par des recettes abstraites, lesquelles, au dur contact d’un réel qui résiste, feront la preuve de leur inefficacité dès que le néo-titulaire se retrouvera dans sa classe aux prises avec une bonne trentaine de Kévin Dugenou aussi énergiques que concrets.
Certes, m’objectera-t-on, mais vous êtes d’une mauvaise foi punique, Apollonie, puisque « le principe de l’alternance (sera) au cœur de la formation des personnels » ! Donc, s’effectuera un aller-retour entre la théorie et la pratique, l’alternance assurant à la fois la pratique de la théorie et la théorisation de la pratique ! Pour ce qui me concerne, punique ou pas, je crains que ce praxisme soit surtout l’occasion de noyer les compétences disciplinaires dans les eaux bourbeuses du pédagogiquement correct.
Les participants à la concertation, me semble-t-il, ont flairé le danger. Est-ce pour tenter de remédier à ce retour en force des sciences de l’éduc dans la formation que le rapport, qui se veut consensuel on l’a vu, propose de « faire toute leur place à des praticiens en activité (professeurs du primaire et du secondaire mais aussi inspecteurs, chefs d’établissements et associations) aux côtés des universitaires dans les équipes de formateurs des ESPE » (bas p.44) ? Encore faudra-t-il être transparent sur les critères (de conformité à la pensée unique pédagogique, on peut le craindre) selon lesquels « professeurs du primaire et du secondaire » et « associations » seront intégrés dans le dispositif. Quant aux chefs d’établissement et aux inspecteurs, nous faisons assez confiance à l’UNSA-FEN, majoritaire dans leurs rangs, pour ne pas douter qu’ils vont dans le système s’octroyer la part du Lion…
Alors, IUFM, SGEN-CFDT, UNSA, CRAPs, la revanche ? C’est l’évidence même. Ils occupaient déjà le terrain avec la droite. Alors, avec la gauche… Et l’on n’en doute plus en lisant, p. 45, dans l’item « Un métier qui s’exerce », les deux premiers paragraphes qui reprennent tous leurs dadas bien connus, comme « reconnaître la dimension collective du métier, (travail en équipe, échange sur les pratiques, partenariat avec les parents et les divers acteurs territoriaux, innovation) par des temps institutionnels dédiés », exemple même de la fausse bonne idée ouvrant sur les 35 h de présence dans l’établissement, royalement proposés naguère par la candidate socialiste avec le succès que l’on sait. Qu’il me soit permis de préférer les conversations devant la machine à café, sous les grands marronniers de la cour ou au bistrot du coin, à ces « temps institutionnels dédiés » qui le seront surtout à la caporalisation du métier et à l’imposition, par la grâce injonctive des collègues les plus forts en gueule ou les mieux en vue, d’une pédagogie officielle et d’un travail même plus d’équipe mais de coterie : sauf avis contraire et jusqu’à plus ample informé, nous sommes encore les concepteurs de nos cours.
Quant à l’idée de « rompre avec la rigidité des emplois du temps hebdomadaires en se donnant la possibilité de globaliser un certain nombre d’heures, dans une fourchette précise et négociée, pour faire évoluer les pédagogies , permettre le travail inter et pluridisciplinaire », comment ne pas voir que c’est la porte ouverte à l’annualisation des services, ce qui devrait mettre vent debout tout syndicat digne de ce nom – je ne parle pas de celui qui depuis des années « travaille pour l’abaissement matériel et moral de ses propres membres » (J.-C. Milner, De l’Ecole), bien sûr.
En ce qui concerne l’évaluation des professeurs, en revanche, le rapport, apparemment a choisi le profil bas. Il faut dire que c’est un sujet sensible, et que le défunt projet Chatel d’évaluation par le chef d’établissement avait fait l’objet, pour des raisons d’ailleurs parfois divergentes, d’une unanime hostilité.
Après avoir souligné que « le système actuel n’est pas satisfaisant », l’item « Un métier qui s’évalue » va même jusqu’à reconnaître que « l’évaluation pédagogique (est) réduite à un contrôle de conformité » (haut p. 46), remarque pleine de lucidité et que nous ne pouvons qu’applaudir, tout comme (ibid.) le rappel de la « double fonction de l’évaluation, le contrôle et le conseil »(c’est moi qui souligne à l’attention des IEN ou IPR flingueurs tels que nous en avons tous connus au cours de notre carrière). Néanmoins, le dernier paragraphe, « faire de l’évaluation un processus qui (…) prend en compte (…) le travail en équipe, ainsi qu’une part d’autoévaluation », a de quoi refroidir notre enthousiasme. Avec cette histoire d’auto-évaluation, c’est le « cercle de qualité » qui entre à l’Ecole, cercle dont on sait que c’est sans doute la plus diabolique invention des capitalistes pour exploiter leur personnel en lui faisant croire qu’il est associé à un processus démocratique de gestion et de débat. De l’auto-évaluation à l’autocritique, il n’y a qu’un pas, et de l’autocritique à l’autodénigrement, il n’y en a qu’un autre et facile à franchir, surtout dans une profession qui a intériorisé à l’extrême la culture de l’excuse pour l’élève et la culpabilisation de l’enseignant, responsable de tous les maux.
Et c’est ainsi qu’avec l’ « individualisation de la gestion et du suivi des personnels » (p. 45), on peut imaginer que les enseignants non conformes choisiront en quelque sorte sponte sua, après avoir bénéficié de « bilans de compétences » (ibid.), d’accéder « non seulement à d’autres niveaux d’enseignement mais aussi à d’autres types d’activité et de responsabilité » (ibid.), cette mobilité choisie s’avérant le meilleur outil pour faire choisir la sortie à tous les empêcheurs de pédagoger en équipe et en rond, le jour ils n’en pourront plus.
Car pour ce qui relève de la « (prise) en compte (du) travail en équipe » dans ladite évaluation, nul besoin d’être devin pour comprendre qu’elle obligera, dans la pratique, nos collègues à s’inscrire dans des projets dont les objectifs ou les modalités ne correspondront pas forcément à leurs valeurs, leur culture ou leur sensibilité, mais auxquels ils se sentiront tenus de participer pour être du côté du manche, -- comprendre de la pratique pédagogique dominante dans l’établissement. Plus besoin d’Inspecteur Guillotin, si vous êtes conduits de vous-mêmes à vous autocensurer pour ne pas dire à vous autofliquer !
Adoncques, incités à trouver l’inspecteur qui sommeille en chacun de nous, nous marcherons main dans la main, par la vertu de la pédagonigologie, vers la meilleure des Ecoles possibles…
J’ai gardé pour la bonne bouche, dans la quatrième grande partie « Un système éducatif efficace et juste », tout ce qui est écrit à propos du « partenariat parents-Ecole », qui doit être « redynamisé » (p. 46) et « s’impose aujourd’hui comme une évidence », ces évidences dont mes maîtres au primaire m’ont toujours appris à me méfier autant que de la platitude de la Terre ou du mouvement apparent du soleil – mais c’était il y a longtemps...
Autre certitude admirable, le principe même de la « coéducation » (ibid.) semble faire consensus, alors même qu’il est largement discutable, d’aucuns pouvant considérer que c’est aux parents d’éduquer leurs enfants, les enseignants n’ayant quant à eux « que » le devoir de les instruire, ce qui est pourtant déjà énorme. De méchantes gens, dont je ne suis pas, pourraient même rajouter qu’à en juger par le comportement de certains élèves qu’on osera qualifier de goujats, de butors et de mal élevés, le travail éducatif minimal de leurs parents n’a sans doute guère donné de fruits – mais c’est un autre débat, sur lequel nous aurons certainement l’occasion de méditer.
Revenons donc à nos parents : « une prérentrée des parents », la « présence d’interprètes » auprès de ceux qui maîtrisent mal ou pas le français, pourquoi pas…En revanche, la suggestion d’un « statut du parent délégué » tel qu’il est défini au bas de la p. 46 fait dangereusement monter mon taux d’adrénaline. En outre, que signifie ce « droit à l’information » qui existe déjà, que je sache, -- sinon de facto l’intrusion des parents à l’intérieur même de notre métier, dans nos compétences pédagogiques (rappelons que le rapport propose également de leur donner « le dernier mot » sur l’orientation) et au mépris de la confidentialité ? Cette revendication des géniteurs d’apprenants à vouloir se mêler de tout, y compris de ce qui ne relève pas de leurs compétences, a quelque chose d’inquiétant. Quant à la demande de « réunions à des horaires compatibles avec les obligations professionnelles des parents », je dois avouer qu’elle est d’une rare stupidité : elle obligerait tous les conseils de classe à se tenir après 18h30, ce qui est bien sûr impossible, -- ou alors le dimanche, à l’heure de la messe ?!!! Il serait beaucoup plus simple (et plus efficace) d’imposer aux employeurs de libérer les parents délégués afin qu’ils puissent, sur leur temps de travail, se rendre dans les établissements.
Justes Cieux, damned, gasp et gloups, quelle parole a franchi la barrière de mes dents ! J’avais juste oublié, sotte que je suis, qu’il faut ménager nos pauvres patrons nécessiteux et accablés de charges et de contraintes... Mille excuses : je me croyais sous la gauche.
En somme et si je récapitule sur « Des personnels formés et reconnus », cette troisième partie ne donne guère de raisons de se réjouir, en dépit de son titre alléchant : le modèle de formation proposé y est hautement contestable, et pour ce qui est de la reconnaissance, j’avoue ne rien avoir trouvé dans les trois pages à ce sujet – le mot « revalorisation », en particulier, brille d’une radieuse absence, et ce n’est pas un hasard : nous qui sommes de purs esprits animés par la passion de transmettre, nous nous contenterons de reconnaissance morale… à condition de faire tout bien comme on nous dira.
En effet, pour ce qui relève de notre bonne vieille « liberté pédagogique », elle semble passée à la trappe par un texte qui vise à contenter tout le monde sauf la majorité des enseignants telle qu’elle s’exprime pourtant dans leurs syndicats majoritaires et représentatifs : non seulement les enseignants seront évalués par leurs inspecteurs et leurs chefs d’établissement, comme cela s’est toujours fait, mais encore ils seront fliqués par eux-mêmes (auto-évaluation), par leurs collègues (« nécessaire travail en équipe »), et enfin, puisque tout ceci manifestement ne suffit pas, par les parents statutairement délégués. Après quoi ils pourront, bien sûr, exercer leur métier librement, sous le contrôle de quatre ou cinq censeurs comme disait le Figaro de Beaumarchais…
Depuis la parution de ce rapport, j’ai entendu le discours du Président de la République, puis celui de Vincent Peillon, apparemment décidés à mettre l’accent sur le primaire, sans doute pour contourner l’opposition prévisible des professeurs du second degré à certaines des mesures proposées, ressenties si elles étaient mises en pratique, comme de véritables provocations.
La seule chose qui me rassure un peu dans toute cette histoire, c’est que François Hollande, à défaut d’être un homme énergique, est intelligent : dans un contexte où les socialistes touchent le fond de sondages décidément sans pitié, ils n’ont pas les moyens de se payer le luxe d’un conflit frontal avec les professeurs, qui sont quand même (ce qui montre, entre parenthèses, leur abnégation politique et leur sens de la discipline républicaine) majoritairement leurs électeurs. Ni le ministre ni le président ne sont stupides : sachant fort bien compter (compétence du socle, validée !) ils ont compris qu’ils ne peuvent pas, même pour faire plaisir aux syndicats minoritaires dont ils sont les otages et à un quarteron de groupuscules pédagogistes où leurs militants sont sur-représentés, se permettre de braquer la majorité du corps enseignant.
« Jospin, vire ton copain, sinon, gare au scrutin »… Cet allègre et roboratif slogan est encore dans toutes les mémoires. Doit-on d’ores et déjà envisager une variante, qui ferait par exemple rimer « Ayrault », « poteau » et « veto » (des urnes) ? Espérons que nous n’en arriverons pas à ces pénibles extrémités – mais je fais assez confiance à François-Hollande-Président-de-la-République pour avoir la sagesse de faire le minimum et même de ne rien faire : ne faisant rien, il fera bien.
Pour le numérique (suite et fin du rapport), ce sera pour la prochaine fois, vu le format du blog !
Sur le site de l’association http://www.r-lecole.fr/ :
deux articles de Pedro Cordoba sur les concours de recrutement,
http://www.r-lecole.fr/iufm/place_concours_pc_2012.html
et, plus récent et plus spécifiquement consacré au « deuxième concours », http://www.r-lecole.fr/iufm/second_concours.htm
Voir également le topo passionnant de Daniel Tchalik, pianiste et professeur de composition, sur « l’enseignement de la musique la subversion de l’école »
http://serveur1.archivehost.com/membres/up/1919747526/blogmezetulle/Telechargements
_permanents/TchalikAutonomieEtablissMusiqueSept2012.pdf
(1) Il y a divergence entre la CDIUFM et le cabinet Peillon sur la place du concours. Tout le monde veut « intégrer » le concours dans la formation initiale i.e. dans le master. Mais les IUFM veulent garder le concours à la place qui lui fut attribuée par X. Darcos (M2) tandis que V. Peillon le veut en M1 (soit à Bac+4) comme avant la réforme.
(2) Le chiffre de 43 000 postes en 2013 est inexact puisqu’il inclut les 21 350 qui passeront l’admissibilité en juin 2013 et l’admission en juin 2014. Ces lauréats ne seront recrutés qu’en septembre 2014 et pas du tout dans l’année 2013
(3) On reproduit en effet les IUFM mais avec une obligation supplémentaire : il faut que les candidats obtiennent à la fois le concours ET le master. Les IUFM étaient déjà incapables de s’acquitter de leur mission (d’où la masse énorme de candidats obligé de s’adresser au privé surtout pour le professorat des écoles). Avec un master en plus, cela devient du délire.