« Phosphorons maintenant ! On pense mieux à plusieurs que tout seul ! », ainsi concluais-je mon précédent article consacré à la réforme du collège.
Mon excellent ami Joël B., joyeux compagnon, fin gastronome, gentil garçon, « pédago » devant l’Eternel (comme quoi ni lui ni moi ne sommes sectaires…) , au demeurant le meilleur fils du monde, a rédigé en commentaire une série de propositions à ce point dignes d’intérêt que j’entreprends de lui répondre ici publiquement et « en grand ».
Pour ceux qui auraient la flemme d’entreprendre une petite marche arrière pour retrouver l’exact intitulé de son propos, je le reproduis in extenso (à une nuance près, sur laquelle je m’expliquerai dans le corps de ma réponse en forme de lettre ouverte.)
N.B. J’ai d’ores et déjà supprimé, sur ce sujet, des commentaires grossiers, et j’en censurerai d’autres s’il le faut, sans états d’âme. Essayons de répondre à Joël de manière constructive et courtoise, sans céder à la facilité de déverser des insanités sur un discours dont l’aspect provocateur, effectivement, peut ressusciter en nous d’ataviques instincts belliqueux pour ne pas dire de dommageables réflexes d’entartage.
LE PROPOS DE JOËL, DONC
« Allez, un peu de provoc pour rigoler, maintenant que la messe est dite.
Mon expérience du grec au Lycée *** – souvenirs vivaces. Au premier trimestre d’une année scolaire assez tendue, services chargés. Une collègue de lettres classiques, bien sous tous rapports, agrégée et tout, arpentait les couloirs à la recherche d’élèves de grec. Il ne lui en restait que deux, peut-être même en partance, la pauvre, et il lui en fallait au moins quelques autres pour justifier ses heures. Elle a dû trouver.
Car l’enjeu était là. Pas pour l’amour du grec (Venez que je vous embrasse !!) mais pour avoir un service complet et léger. Car sinon c’était une classe de plus en français, trois au lieu de deux, et ça change la vie pendant l’année (moi qui avec quelques manants de certifiés en avions quatre -ce qui est une horreur de corrections - apprécions la situation). Parlons franc. Derrière les cris d’orfraie sur les humanités s’écroulent, il y a aussi des considérations de niches confortables, et de coûts exorbitants, qui pour être triviaux doivent aussi être pris en compte avec des solutions idoines.
Je me souviens avoir évoqué la possibilité, pour ce peu d’élèves dont il fallait en effet satisfaire l’attente, de recours au CNED – un service public très performant, qui, additionné d’un peu de répétition, peut jouer parfaitement son office.
J’avais aussi horrifié en suggérant que par exemple on pouvait mettre ensemble les élèves de grec de plusieurs établissements aixois, et rendre ainsi plus acceptables des heures d’agrégé(e)s.
Geneviève (épouse de Joël, note de la Présidente) avait même rappelée qu’elle-même, dans les années 60, élève alors d’un établissement on ne peut plus catho de jeunes filles, allait alors avec ses camarades suivre des cours de grec au lycée public de garçons voisin (enfer et damnation !) pour faire un groupe « soutenable ». Les deux établissements avaient pu s’entendre sur cela, surprising isn’t it ? Mais je ne suis pas dupe, l’enjeu est bien ailleurs.
Encore une fois, à force de ne vouloir rien changer, de protéger des niches, de refuser des accommodements, de trouver des solutions adaptées et satisfaisantes pour tous, on se prend une réforme en pleine poire, et ne reste qu’à pleurer. La prochaine viendra de la droite, on peut faire confiance, mais on trouvera normal d'être un peu décoiffé.
Alors la réforme du collège ? du petit braquet tout ça, beaucoup de bruit pour rien. On commencera à en parler le jour où, au collège comme au lycée d’ailleurs :
1. Toutes les matières et tous les niveaux ne seront pas égaux par ailleurs, en termes de service
2. On instituera une mobilité obligatoire au bout d’un certain temps dans un poste, pour casser les situations de niche et les effets de queue – y compris avec des temps hors de l’enseignement
3. Les établissements jouiront d'une GRANDE autonomie, y compris en termes de recrutement, sur des projets pédagogiques (gouvernance à définir)
4. Les services seront définis en termes de tâches et pas seulement d’heures de cours (quelqu’un avait parlé de 35h, pas si con, si c'est bien négocié)
5. Les vacances scolaires seront pour les élèves, les profs quant à eux, fonctionnaires, bénéficiant du statut de la fonction publique et de 35 jours ouvrables, ou quelque chose comme ça
6. On utilisera pleinement les ressources de l’informatique et des logiciels interactifs pour transmettre des connaissances, concentrant le face à face pédagogique sur l’acquisition des savoir-faire, les travaux pratiques, l’encadrement rapproché des élèves en difficulté – ainsi que le coaching des meilleurs – ce qui ferait éclater la notion de classe, et la notion d’année scolaire, au passage, pour une pratique bien plus large de groupes de niveaux et d’évaluation des compétences.
7. On va en trouver d’autres, j'en ai encore sous le coude. J’avais dit provoc ? Finalement, c’est assez sérieux tout ça ! Et de gauche, en plus. A disposition pour argumenter chaque point. »
Reprenons donc à présent point par point
« Allez, un peu de provoc pour rigoler, maintenant que la messe est dite.
Cher Joël, rien ne garantit que « la messe (soit) dite », tout d’abord. Je crois que tu as mal évalué le degré de mécontentement des collègues – et des parents d’élèves, comme le montrent les récents déboires du cher Raoult de la FCPE ; je ne pense pas que les professeurs de collèges (et ceux des lycées, qui les soutiennent) se laisseront imposer sans réagir une réforme qui va à l’encontre de leurs convictions les plus profondes.
Et pour ce qui est de « rigoler », je crois qu’on attendra une autre occasion…
Quant à cette manière expéditive et ingénument brutale de t’exprimer, « la messe est dite », avec ses inflexions manuelvallsesques, elle relève sans doute du dernier chic socialo dans la manière de gérer le dialogue avec les personnels. Mais comme captatio benevolentiae, tu avoueras que ce n’est pas top.
Certes, tu ne cherches pas la bienveillance, puisque tu reconnais toi-même faire « un peu (sic) de provoc ». Tu ne seras donc pas étonné du ton parfois un peu raide sur lequel, en toute amitié, je vais te répondre.
Mon expérience du grec au Lycée *** – souvenirs vivaces. Au premier trimestre d’une année scolaire assez tendue, services chargés. Une collègue de lettres classiques, bien sous tous rapports, agrégée et tout, arpentait les couloirs à la recherche d’élèves de grec. Il ne lui en restait que deux, peut-être même en partance, la pauvre, et il lui en fallait au moins quelques autres pour justifier ses heures. Elle a dû trouver.
Car l’enjeu était là. Pas pour l’amour du grec (Venez que je vous embrasse !!) mais pour avoir un service complet et léger. Car sinon c’était une classe de plus en français, trois au lieu de deux, et ça change la vie pendant l’année (moi qui avec quelques manants de certifiés en avions quatre -ce qui est une horreur de corrections - apprécions la situation).
Parlons franc. Derrière les cris d’orfraie sur les humanités s’écroulent, il y a aussi des considérations de niches confortables, et de coûts exorbitants, qui pour être triviaux doivent aussi être pris en compte avec des solutions idoines.
Compte tenu de la manière peu amène et pour tout dire indélicate dont tu parles de la collègue de lettres classiques, la désignant quasiment à la vindicte publique en sous-entendant que c’est ni plus ni moins qu’une grosse fainéantasse (encore le vrai chic socialo, j’imagine, mais ça devient un peu lourd, même en tenant compte du registre polémique), tu comprendras volontiers que j’aie anonymé le nom du lycée.
Puisqu’il faut « parl(er) franc », comme tu dis, dans ce même lycée et à propos de « niches confortables », j’ai connu pire en termes de situation : par exemple des gens qui partaient en cours d’année sous le ciel enchanté des bureaux rectoraux loin bien loin des élèves, en laissant en guise d’adieu à leur remplaçant quelques dizaines de dissertations, justement, à corriger.
Bref, le type de sous-entendu auquel tu procèdes, provoc ou pas provoc, est juste dégueu insultant pour la personne à laquelle tu fais allusion. Prétendre que les professeurs de grec s’accrochent à leur option pour ne pas travailler, c’est aller trop loin, c’est inadmissible, je te le dis gentiment mais fermement.
Je me souviens avoir évoqué la possibilité, pour ce peu d’élèves dont il fallait en effet satisfaire l’attente, de recours au CNED – un service public très performant, qui, additionné d’un peu de répétition, peut jouer parfaitement son office.
J’avais aussi horrifié en suggérant que par exemple on pouvait mettre ensemble les élèves de grec de plusieurs établissements aixois, et rendre ainsi plus acceptables des heures d’agrégé(e)s.
Geneviève avait même rappelée qu’elle-même, dans les années 60, élève alors d’un établissement on ne peut plus catho de jeunes filles, allait alors avec ses camarades suivre des cours de grec au lycée public de garçons voisin (enfer et damnation !) pour faire un groupe « soutenable ». Les deux établissements avaient pu s’entendre sur cela, surprising isn’t it ?
La solution du regroupement des heures de grec sur un seul lycée, ou même de la constitution d’un seul « pôle lettres classiques » par ville ne date effectivement pas d’hier. J’ai moi-même expérimenté, en classe de 1ere (1968-1969), ce type de configuration, puisqu’une demi-douzaine de jeunes filles hellénistes (c’était avant la mixité) avaient eu la joie, la chance et l’inestimable avantage d’aller traduire Homère et Euripide au lycée de garçons – tous ces beaux jeunes gens à nos pieds, et le prof de lett. class. aux petits soins, aaaah, c’était un vrai bonheur (soupir nostalgique).
Tout ceci marchait très bien, pédagogiquement parlant, et ne posait aucun problème il y a quarante-cinq ans, dans un contexte où les établissements n’étaient pas encore mis en concurrence. Depuis, on a connu les palmarès du meilleur lycée (dans divers magazines), le classement IPES, l’affichage triomphant des résultats du bac, la danse des sept voiles pour recruter, et j’en passe.
Concurrence entre public et privé, bien sûr (j’ai vécu vingt et un ans en Vendée, je connais…), mais aussi entre public et public. Dans ce sens, perdre une option de grec, pour un établissement, c’est toujours grave -- comme perdre l’allemand, le russe, l’option musique ou toute option rare, un BTS, une prépa, bref, tout ce qui peut constituer un « plus » pour la boîte non seulement en termes de résultats (il ne s’agit pas forcément de « bons » élèves) mais d’image et de faire-savoir, puisque, hélas, c’est à présent ainsi que l’on nous impose de raisonner.
Quant à interdire de classer les lycées, inutile de rêver : la tendance générale vers l’autonomisation (j’y reviendrai, d’autant que tu la prônes) ne va pas dans ce sens, bien au contraire.
Mais je ne suis pas dupe, l’enjeu est bien ailleurs.
Encore une fois, à force de ne vouloir rien changer, de protéger des niches, de refuser des accommodements, de trouver des solutions adaptées et satisfaisantes pour tous, on se prend une réforme en pleine poire, et ne reste qu’à pleurer. La prochaine viendra de la droite, on peut faire confiance, mais on trouvera normal d'être un peu décoiffé.
Parce qu’on ne l’est pas, « décoiffé » ? Tondu, oui, et même scalpé !
Etre malmené par la droite, ça a l’apparence de la logique. La droite ne peut plus nous décevoir. Par la « gauche » (enfin, cette gauche-là), on a beau avoir l’habitude depuis Allègre, ça fait toujours quelque chose : nous nous sommes tant aimés, on avait tellement envie de faire confiance, même après avoir été cocufiés tant de fois. On se disait : « Ils vont bien comprendre, quand même, ils vont bien finir par nous écouter »… Ben non. Toujours persuadés de détenir la vérité, contre le cours même du réel.
Oui, l’UMP revenue au pouvoir fera sans doute pire, aucune illusion là-dessus – ou plutôt elle parachèvera le sale boulot que le PS a commencé. L’ultra-libéral Madelin est à fond pour la réforme du collège : ça ne te trouble pas ?
Mais revenons au reste de tes propositions.
Alors la réforme du collège ? du petit braquet tout ça, beaucoup de bruit pour rien. On commencera à en parler le jour où, au collège comme au lycée d’ailleurs :
1. Toutes les matières et tous les niveaux ne seront pas égaux par ailleurs, en termes de service
2. On instituera une mobilité obligatoire au bout d’un certain temps dans un poste, pour casser les situations de niche et les effets de queue – y compris avec des temps hors de l’enseignement
3. Les établissements jouiront d'une GRANDE autonomie, y compris en termes de recrutement, sur des projets pédagogiques (gouvernance à définir)
4. Les services seront définis en termes de tâches et pas seulement d’heures de cours (quelqu’un avait parlé de 35h, pas si con, si c'est bien négocié)
5. Les vacances scolaires seront pour les élèves, les profs quant à eux, fonctionnaires, bénéficiant du statut de la fonction publique et de 35 jours ouvrables, ou quelque chose comme ça
6. On utilisera pleinement les ressources de l’informatique et des logiciels interactifs pour transmettre des connaissances, concentrant le face à face pédagogique sur l’acquisition des savoir-faire, les travaux pratiques, l’encadrement rapproché des élèves en difficulté – ainsi que le coaching des meilleurs – ce qui ferait éclater la notion de classe, et la notion d’année scolaire, au passage, pour une pratique bien plus large de groupes de niveaux et d’évaluation des compétences.
7. On va en trouver d’autres, j'en ai encore sous le coude. J’avais dit provoc ? Finalement, c’est assez sérieux tout ça ! Et de gauche, en plus. A disposition pour argumenter chaque point. »
Tout ceci est peut-être « de gauche », Joël, mais d’une gauche qui n’est pas la mienne et pour laquelle, je l’écris solennellement en pesant chacun de mes mots, je ne voterai plus JAMAIS : déréguler, déréglementer, déconcentrer, autonomiser, tout cela présenté, bien sûr, comme un « plus » pour les professeurs, les élèves et les établissements, c’est instaurer le règne de la concurrence perpétuelle, non seulement entre les collèges et les lycées (ça existe déjà, nihil novi), mais à l’intérieur de l’établissement, entre collègues, entre équipes, entre projets. Non merci.
Ce que tu proposes, de facto, c’est la fin du cadre national, des programmes, des examens nationaux, et tout le pouvoir aux féodalités locales, aux groupes de pression économiques ou idéologiques, aux petits et grands chefs, aux géniaux concepteurs de projets innovants avec beaucoup de mousse, au meilleur VRP susceptible de vendre ses salades, au plus habile danseur de claquettes, au plus fin joueur de pipeau, aux coordonnateurs de discipline promus mini-inspecteurs de leurs collègues, au conseil pédagogique érigé en instance de flicage. Caporalisation accrue du métier. Non merci.
Ce que tu nommes poétiquement « gouvernance à définir », ce sont les méthodes du privé. Non merci.
La seule autonomie qui vaille d’être valorisée, c’est (à l’intérieur de programmes et d’horaires nationaux précisément définis) la liberté pédagogique des professeurs : on enseigne comme on veut, on bidouille, on expérimente, avec ou sans informatique, avec ou sans tableau noir (ou blanc, interactif ou pas), avec livre ou avec tablette, comme en 1950 ou comme en 2050, on s’en fiche : l’essentiel est qu’à la fin de l’année les élèves aient appris et travaillé.
Curieusement, cette liberté pédagogique, cette confiance accordée aux professeurs, tu n’en parles pas, les socialistes n’en parlent pas – parce que ce qui les anime, c’est tout le contraire, un ressentiment outrancier, une espèce de haine rance, une suspicion permanente vis-à-vis des enseignants, à qui l’on impose faute de les convaincre, et qu’il faut, comme le montre le passage en force sur la réforme, absolument mater pour que « la messe (soit) dite ».
Qu’on ne compte pas sur nous pour dire DEO GRATIAS
Joël, mon cher Joël, tu es un ami, mais en ce qui concerne l’Ecole nos positions, je ne t’apprends rien, sont, à quelques points de détail près, complètement incompatibles. Je crains fort que dans les conflits qui s’annoncent nous ne nous trouvions une fois de plus, de part et d’autre de la barricade.
Ce qui ne nous empêchera pas de déguster ensemble l’excellent vin de mon fils, naturellement. Ce sera sans doute le seul élément de synthèse possible entre nous dans ce débat…