En ce samedi frisquet mais ensoleillé, au lieu de se faire plaisir en allant voir Le Grand retournement, la présidente de RE, portée par une abnégation sans faille, a entrepris (avec l’objectivité qui la caractérise) un petit bilan d’étape de la Refondation Peillon, question de voir où l’on en est du grrrrand projet présidentiel.
Sans doute se souvient-on qu’au début des Fleurs Bleues de Queneau, le duc d’Auge monte au sommet de son donjon pour y considérer un tantinet soit peu la situation historique. « Elle était plutôt floue. Des restes du passé traînaient encore çà et là, en vrac», note malignement le narrateur.
Pour ce qui est des restes du passé, c’est effectivement le cas : non seulement ils traînent, mais ils sont pris d’un regain de vigueur, comme un chiendent indéracinable. Quant à la situation, elle est malheureusement d’une clarté limpide quoique décourageante : tout ce que l’on pouvait redouter de la part d’un ministère socialiste conseillé par des idéologues qui n’ont rien appris ni rien oublié, est en passe de se réaliser au-delà de nos prévisions les plus pessimistes. Nous assistons à un désolant « remake » (désolée pour le franglais) des années Jospin-Allègre, -- et sur le fond, et, depuis peu, dans la forme.
Commençons par le commencement et par les contenus, c'est-à-dire le projet de loi (1) :
Si les constats de base sont pertinents et les intentions souvent bonnes -- par exemple, « une élévation générale du niveau (…) en sorte que tous les élèves maîtrisent les compétences de base en français (lecture, écriture, compréhension et vocabulaire) et les compétences en mathématiques (nombre, calcul et géométrie) en fin de CE1 », « rebâtir une école à la fois juste pour tous et exigeante pour chacun » (qui pourrait décemment tonner contre ?) , « donner la priorité à l’école primaire qui est le moment de la scolarité où se construisent les apprentissages et apparaissent les échecs scolaires », « scolarisation des moins de trois ans » -- le moins que l’on puisse dire, c’est que les solutions apportées ne sont pas à la hauteur des enjeux : soit on fait du neuf avec de l’éculé, en réactivant sans frémir les recettes de la vieille pédagogie moderne (qui ont fait la preuve de leur inefficacité depuis des décennies), soit on innove, comme par exemple avec le numérique, sans vraiment prendre la mesure de l’engrenage dans lequel on met le doigt et qui nous mangera le bras.
C’est ainsi que l’on relève en vrac, comme les restes du passé traînant encore sous les remparts du duc d’Auge, des « gimmicks » tels que pérennisation du socle commun, mise en place d’un « Conseil national d’évaluation du système éducatif » dont la composition fait fi des acteurs de terrain au profit des experts en expertise, et d’un « Conseil supérieur des programmes » du même métal, naissance des ESPE -- c'est-à-dire renaissance des IUFM (2) -- , formation continue tout au long de la carrière (ou comment, à partir de vrais besoins, formater les pratiques pédagogiques) , etc. …
Nihil novi sub sole. Rien que du prévisible, du déjà fait, du déjà vu et du déjà échoué, mais dont on devait penser en haut lieu qu’il mettrait du baume au cœur des masses enseignantes qui, après les sinistres années Sarkozy de l’inculture et du mépris, ont massivement voté pour F. Hollande. Sans doute est-ce la raison qui fit que le ministère a entrepris de réformer les rythmes en primaire, dans l’intérêt des enfants ça va de soi, mais en oubliant juste de prendre en compte l’avis des « vrais » personnels – je veux dire des instituteurs qui ne sont ni au PS, ni au SGEN-CFDT, ni à l’UNSA-FEN.
Car ces mesures mécontentent d’ores et déjà nos collègues du primaire, les méchants vilains ingrats pas beaux, qui ont vite oublié les précieux 60.000 postes (4) restitués…
Soyons sérieux : on ne va tout de même pas remercier les socialistes et leur donner une médaille lorsque par miracle, pour une fois, ils tiennent une de leurs promesses, et ces postes ne doivent pas être les arbres qui cachent la forêt des refus. Si les instituteurs parisiens se sont mis en grève aussi massivement le 22 janvier dernier (5), ce n’est pas pour le malin plaisir de faire de la peine au gentil Bertrand Delanoë ou au non moins sympathique Bruno Julliard, lequel a du reste immédiatement levé le masque et perdu son sourire (6), illico relayé par le chien de garde de service au Monde (7), puis par France-Inter, naturellement, et jusqu’à Marianne, habituellement plus avisée sur ces questions (8). Même le brave Marcel Rufo (un fan du RCT, pourtant, ce qui montre qu’il n’est pas absolument mauvais…) y est allé de son grain de sel (9) : quelle unanimité contre ces égoïstes, corporatistes, incohérents, mal embouchés, gros fainéantas et j’en passe !
Malsaine ambiance donc, qui nous ramène à un temps que l'on espérait révolu, lorsque l’abominable Allègre dégoisait tant et plus sur les enseignants. Vincent Peillon est mieux élevé : il n’a ni l’insulte à la bouche ni la bave aux lèvres. Agrégé de philo, il sait se tenir, lui. Poli, souriant, bien coiffé, bien vêtu, il se contente de laisser aboyer ses sous-fifres et ses relais serviles dans les médias ou dans l’Ecole même (10). Naturellement, en privé, il peut, tel Apollinaire ou Claude François, pleurer qu’il est le mal-aimé et affirmer, quitte à démentir ensuite, qu’il n’a « quand même pas mis 60 000 postes sur la table pour être emmerdé après » (11). Mais la stratégie est la même que sous Allègre : jouer le peuple français contre les enseignants.
Il n’empêche que le mal est fait et le divorce en voie derechef d’être consommé. Une deuxième fois et pour les mêmes raisons, les socialistes sont en train de perdre le vote enseignant, que seul l'inepte acharnement de Sarkozy avait pu leur faire regagner en reléguant aux oubliettes de l’histoire les allègres outrances et les royales errances des années 98.
Mais c’est plus fort qu’eux, c’est dans leur nature, comme dit le scorpion à la petite grenouille (12) : chaussés de leurs œillères idéologiques, les conseillers du ministre, persuadés que la sensibilité majoritaire chez les enseignants se trouve à l’UNSA et/ou au SGEN-CFDT, ne veulent ni ne peuvent entendre la voix des personnels, même lorsque ceux-ci réagissent par une grève écrasante. Peu importe que les instituteurs s’opposent massivement à cette réforme, ils ont tort, par définition, puisqu’ils sont contre le ministre de gauche. Et puis, qu’ils se méfient : le méchant loup de droite, avec ses grandes dents, nous guette au coin du bois (13), explique Luc Cédelle, -- à qui il faut néanmoins reconnaître qu’il est nettement plus malin que les plumitifs évoqués ci-dessus ! Est-ce pour autant que l’on doit tout subir en courbant l’échine ?
Ce chantage a quelque chose d’insupportable : soit vous acceptez de passer sous les fourches caudines d’une Refondation mal ficelée (parce qu’à l’avance préparée, avant la « grande concertation », dans les cartons du PS), soit vous ressuscitez le Sarko, ses pompes et ses œuvres.
Alternative mal posée !
Si l’on avait pris en compte le point de vue des « vrais » personnels, au lieu de plaquer sur le réel, de façon pédago-technocratique, des schémas théoriques plus ou moins pertinents, on n’en serait sans doute pas là. Ecoutons la parole d’instituteurs de terrain, comme Catherine Bonnet-Huby, membre du CA du GRIP, qui nous explique avec des mots très justes et une argumentation modérée, pourquoi la réforme des quatre jours et demi est contreproductive et ne peut pas marcher, http://www.r-lecole.fr/primaire/bonnet-huby-grip-01-13.html, ou comme Véronique Decker , directrice d’école à Bobigny, sur son blog hébergé – mais si – par les Cahiers pédagogiques :
Certes, le décret est paru (14) et la réforme s’appliquera sans doute, le ministre étant décidé à ne pas céder, tant il est plus facile de capituler devant les « geonpis », la phynance, Mittal et le MEDEF que d’entendre de « simples » instituteurs contre lesquels on passera en force en les accusant de tous les maux, histoire de se donner à peu de frais la posture de quelqu’un de ferme...
Il n’est pas sûr que l’instruction publique (ce mot qui est, du reste, le grand absent du débat) y gagne : mais c’est une autre histoire…
(1) http://static.lexpress.fr/pub/pdf/projet_de_loi_prerose.pdf
(2) Voir p. 30 du document, pour ce qui est de la professionnalisation
(3) Voir p. 33
(4) "54 000 emplois seront créés au ministère de l’éducation nationale, 5 000 au ministère de l’enseignement supérieur et 1 000 au ministère de l’agriculture. Pour le ministère de l’éducation nationale, un premier investissement est nécessaire pour mener à bien la refondation de l’Ecole, au travers de la formation initiale des enseignants. 26 000 postes seront donc consacrés au rétablissement d’une véritable formation initiale pour nos enseignants. Cela correspond dans un premier temps au remplacement de tous les départs en retraites d’enseignants prévus chaque année, ainsi qu’aux postes de stagiaires nécessaires pour créer des emplois enseignants dans un second temps. A ces emplois s’ajoute la création de 1 000 postes d’enseignants chargés d’assurer la formation initiale et continue des enseignants dans les ESPE en complément des moyens qui seront dégagés dans les universités. Par ailleurs, 21 000 postes d’enseignants titulaires seront créés pendant le quinquennat, en plus des postes nécessaires à la réforme de la formation initiale." (document page 27, voir également le tableau à double entrée p. 29)
(8) http://www.marianne.net/Peillon-et-les-profs-grevistes-qui-est-le-plus-a-gauche_a226010.html
(10) http://lioneljeanjeau.canalblog.com/archives/2013/01/26/26252280.html
(11) http://lelab.europe1.fr/t/ambiance-tendue-entre-les-enseignants-et-vincent-peillon-7109
http://education.blog.lemonde.fr/2013/01/22/primaire-la-greve-troublante/
(13)Ou enfin ce point de vue pour le moins décapant de Jean-François Chalot et Isabelle Voltaire, sur agoravox : http://www.cdafal77.fr/texterythm.html