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24 novembre 2013 7 24 /11 /novembre /2013 21:19

 



On a souvent déploré çà et là, et pas seulement dans la presse, l’incroyable état d’impréparation dans lequel la plupart de nos ministres sont arrivés au gouvernement, -- ce qui les a souvent conduits à des expérimentations fébrilement hasardeuses suivies de rétropédalages non moins fébrilement précipités, surtout dès que les lobbies libéraux, patronaux ou assimilés ont haussé le ton ou juste fait les gros yeux.

 

Sachons-le bien, il y a pire qu’un ministre socialiste en train d’improviser, c’est un ministre socialiste – en l’occurrence Vincent Peillon pour ce qui nous concerne – appliquant à la lettre un programme longuement réfléchi, mûri, peaufiné et concocté dans l’opposition avec sa chouette bande de pédagos… Quand je pense que pendant la campagne Hollande, alors que je confiais à un de mes anciens étudiants passé au P.S. (personne n’est parfait) et de surcroit dans le staff de DSK (perseverare diabolicum), mes inquiétudes concernant le projet socialiste pour l’Ecole, cet adorable garçon sympathique et cultivé, que je salue au passage (il se reconnaîtra) m’avait affirmé avec beaucoup de conviction : « Oh, soyez tranquille, madame, ce programme pour l’Ecole, ils ne l’appliqueront pas ! »

 

Ben si, justement.

 

On eût préféré un reniement de plus (qui, au moins, eût eu l’avantage d’être motivé par une juste analyse des réalités et/ou une véritable concertation avec les intéressés), mais non : constants dans la justesse de leurs admirables certitudes, illuminés par la conviction d’avoir raison tout seuls, le ministre et ses conseillers, droits dans leurs bottes, après s’être obstinés à réformer de pôvres rythmes scolaires qui ne leur avaient rien fait, ont entrepris d’ouvrir le chantier des métiers et services des enseignants du second degré – en clair, de démanteler nos statuts, pour notre bien, naturellement.

 

La révision des décrets de 1950 définissant les services, décharges statutaires, pondérations, etc… des enseignants est donc mise sur la table, et le moins que l’on puisse dire c’est que les professeurs de prépa y sont particulièrement malmenés ! (voir par exemple http://www.snes.edu/Les-mesures-envisagees-concernant.html)

 

Sous prétexte de revaloriser leurs collègues de ZEP, les professeurs en CPGE sont les premiers visés, mais ne nous y trompons pas : c'est la totalité des statuts (et des obligations réglementaires de service) des enseignants qui va être détricotée. Enseigner en ZEP, c'est-à-dire se battre en première ligne sur le front du malheur social, est quelque chose d’épuisant et qui mérite une juste rétribution (ce qui n’est pas le cas), personne ne dira le contraire. Mais à qui va-t-on faire croire que c’est en supprimant la clause dite des « effectifs pléthoriques », en clair, une heure supplémentaire pour les collègues de prépa enseignant à plus de 45 étudiants (1), que l’on va débloquer assez de crédits pour financer les mesures en ZEP et rémunérer dignement ceux qui y enseignent ?

Contrairement à l’épaissement vulgaire Allègre, dont tous les pores exsudaient une si effroyable haine pour tous les professeurs qu’il avait, de fait, fédéré contre lui l’ensemble de la profession, Vincent Peillon, plus habile, cherche à opposer les catégories : secondaire/CPGE ; CPGE littéraires/CPGE scientifiques ; matières de tronc commun/ matières à petits effectifs ; prépas de proximité/grandes prépas; enseignants en ZEP, ces prolos/ ces nantis de CPGE … tout en stigmatisant une catégorie de prétendus privilégiés (les profs de prépa) au prix de simplifications caricaturales et mensongères. Comment justifier un procédé qui promet d’habiller mal Paul (ZEP) en déshabillant Pierre (CPGE) ? Comment prendre au sérieux un gouvernement qui, parce qu’il s’est engagé dans une politique de cadeaux fiscaux à des entreprises qui ne lui en rendent aucunement grâces et refuse d’aller chercher l’argent où il est, s’acharne sur les professeurs de prépa en les faisant passer pour des exploiteurs du peuple ? En d’autres temps, on aurait appelé ça un procédé poujadiste !

 

Comment fonder équitablement (je n’ose pas écrire « honnêtement », l’honnêteté me semblant une des vertus les moins partagées dans un parti qui n’a plus de socialiste que le nom !) une réforme en ne citant (2) que des cas extrêmes qui ne représentent en rien la majorité des collègues de CPGE ? Les professeurs de classes préparatoires sont publiquement mis en cause pour ne pas dire diffamés, dans une grande ignorance de ce qui fait le quotidien de leur activité et l'intensité de leur engagement.

Cette réforme, qui fait disparaître la clause d'1 HS pour effectifs pléthoriques, implique ipso facto une augmentation du temps de travail qui pèsera sur la préparation des cours (3) et la correction des copies ; en CPGE, l’augmentation du temps de présence (jusqu’à 25% !) devant les étudiants en est un exemple flagrant. Qui accepterait de travailler 25% de plus pour 10 à 15% de rémunération en moins ? Car la réforme implique des pertes de salaire pour la majorité des personnels qui subissent déjà, depuis plusieurs années, les effets de la non-revalorisation du point d'indice. Voir par exemple un tableau très bien fait sur le site du SNES http://www.snes.edu/Les-mesures-envisagees-concernant.html : en somme, si Sarkozy nous avait fait le coup du « travailler plus pour gagner plus », Peillon, plus créatif, en sous-entendant que les professeurs de prépa sont de grrrros fainéantas payés à pontifier quelques heures par semaine devant des classes d’élite peuplées de fils de bourges surdoués, invente le « travailler plus pour gagner moins » !

 

Attention, une brimade peut en cacher une autre !

Cette brimade est un ballon d'essai avant des mesures qui vont frapper toute la profession si nous nous laissons faire. Ne nous y trompons pas : la disparition de l'HS pour effectifs pléthoriques concerne aussi les collègues du secondaire, ne serait-ce que parce que l’heure de « première chaire » va également passer à la trappe : voir http://www.netvibes.com/appls#Metier_enseignant, rubrique « le principe de calcul des ORS (4) tel que présenté le 18 ». Dans un premier temps, avec cette configuration, bon nombre de professeurs de prépa se trouveront en sous-service, et sans doute obligés de compléter leurs heures en lycée, aux dépens de leurs collègues du secondaire -- ou de faire des kholles gratuites (une heure de cours = deux heures de kholle), ce dont pâtiront les professeurs de lycée qui collent en prépa. Suivront des suppressions de poste, et/ou des redéploiements. Mais n’est-ce pas, in fine, l’un des buts recherchés de toute réforme : faire des économies ?

 

Et bien entendu, comme les sacrifices doivent être équitablement répartis entre les gros salaires budgétivores qui ruinent la nation sur le dos de l’éducation prioritaire, on attend avec intérêt que les conseillers de M. Peillon, qui touchent en moyenne 10.098 € de prime par an (5), renoncent dans un grand élan de solidarité républicaine, à ces émoluments honteux qu’ils remettront en grande pompe au Trésor Public, -- pieds nus, crâne rasé, en chemise et la hart au cou, se battant la coulpe jusqu’à la meurtrissure et entonnant avec une authentique ferveur les hymnes sacrés .http://www.youtube.com/watch?v=YDEgNp62jGk 

 

Il y a enfin dans ce projet (et c’est sans doute le plus accablant), une haine profonde pour tout ce qui peut représenter l’excellence et le savoir – et les CPGE, à tort ou à raison ce n’est pas le débat, en sont encore l’un des symboles. Peu importe qu’elles ne soient plus, surtout depuis que le lycée Chatel-Descoings a produit en trois ans une génération d’ignares, des repaires de bons élèves ; il n’en reste pas moins que la prépa, régulièrement dénoncée comme l’Enfer sur Terre dans l’organe semi-officiel qu’est devenu Le Monde, est aujourd’hui le modèle à abattre : après avoir envisagé de l’intégrer à l’Université, le ministre, fin stratège, organise à présent, par cette réforme des ORS, le découragement des professeurs : en s'attaquant aux salaires, il espère qu'à terme  l’écœurement videra les prépas de ce qui fait leur force : des enseignants motivés. Le système des CPGE s'effondrera alors de lui-même, mais ce n’est pas pour autant, hélas, que l’Université s’en portera mieux…

 

D’ores et déjà, les collègues de prépa se mobilisent, se réunissent en assemblées générales, informent leurs étudiants, les parents... (6)

Par ailleurs, si l’on veut manifester sa solidarité, on peut signer la pétition unitaire en ligne élaborée par le SNES, le SNALC et la plupart des associations de professeurs en CPGE, http://www.petitions24.net/petition_unitaire_cpge

 

 

 

(1) Pour ma part, il m’est arrivé d’avoir en hypokhâgne 63 (oui, vous avez bien lu) soixante-trois louveteaux…

(2) Voir dans le (peut-être pas si sérieux que ça) Rapport de la Cour des Comptes http://www.ccomptes.fr/Publications/Publications/Gerer-les-enseignants-autrement  p. 81 le montant exceptionnel de 107.339€ pour un professeur de CPGE. Excellente analyse du rapport entier sur http://www.laviemoderne.net/grandes-autopsies/52-le-fabuleux-rapport-de-la-cour-des-comptes

(3) Je rappelle qu’en prépa, dans les matières littéraires en particulier, le programme change chaque année (comme à l’agrégation, en somme) …

(4) Obligations Réglementaires de Service

(5) Voir sur http://www.journaldunet.com/economie/magazine/primes-des-ministres/vincent-peillon.shtml 

(6) Pour ceux qui suivent plus ou moins les « réseaux sociaux », beaucoup d’infos sur une page « FB » dédiée www.facebook.com/NONALAREFORMEPEILLON, et un groupe sur Glouglou, où l’on peut s’inscrire en envoyant un mail à collectif-cpge+subscribe@googlegroups.com

 

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commentaires

T
&quot;un parti qui n’a plus de socialiste que le nom&quot;<br /> <br /> Il se base sur les sophismes sociologiques de Bourdieu, il y a au moins une racine commune. Même les défenseurs des prépas (par exemple la présidente de l'UPS) sont obligés d'aller sur ce terrain, où d'ailleurs les arguments ne manquent pas pour qui veut examiner les faits de bonne foi.<br /> <br /> Cela fait quand même un certain temps que les CPGE sont dans le collimateur (ou plutôt dans la boite à polémique) du PS : dans les années 80 déjà, le thème était à la mode. Et, progressivement, cela a eu des conséquences. <br /> Si une même politique est poursuivie pendant 30 ans, on est sans doute au delà du simple malentendu.<br /> <br /> L'élément réellement inquiétant, c'est qu'il n'y a apparemment plus de défense sur ce point à droite. <br /> <br /> D'ailleurs, depuis la nomination du président socialiste actuel de la Cour des comptes par Sarkozy (après le décès de Philippe Seguin début 2010), celle-ci soutient avec zèle dans ses rapports cette politique de &quot;discrimination positive&quot;, contraire au principe même des concours. C'est aussi elle qui est à l'origine du rapport sur les salaires.
Répondre
E
Bonjour.<br /> <br /> Je suis enseignant en CPGE. Vous trouverez une copie du courrier que je viens d'envoyer au Président de la République disponible sur http://www.besnard-javaudin.net/RenvoiPalmesAcademiquesEBJ.pdf. Je lui renvoie mes Palmes Académiques, reçues l'an dernier, afin de protester contre le projet en cours de discussion au Ministère de l'Education qui entrainera à la fois une baisse de mon salaire et un alourdissement de ma charge de travail.<br /> <br /> Eugenio Besnard-Javaudin
Répondre
L
Merci et bravo ! Continuons le combat !