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9 septembre 2013 1 09 /09 /septembre /2013 07:43

 

Non, la Présidente n’est pas (encore ?) entrée dans la clandestinité ! Preuve en est que ce blog, en sommeil depuis début juillet, émerge de sa torpeur estivale en ce dimanche orageux de septembre, avec pour tout bientôt (ou du moins, ou du moins, ou du moins je l’espère…[i]) son mauvais esprit coutumier.

 

Mais ces jours-ci, je vous l’avoue, l’heure n’est guère à persifler, ni même à polémiquer sur tout ce qui déraille, débloque et dékhonne dans le monde merveilleux de l’Education Nationale, à commencer par la réforme des rythmes au primaire, qui s’avère (est-ce vraiment une surprise) un bobinard total et absolu, puisque même le Nouvel Observateur, certes en rechignant, en vient à l’admettre [ii]– ce qui montre bien que c’est vrai, donc.

Ce qui eût été étonnant, c’est qu’une réforme bâclée, mal fichue, adoptée à l’arrache et sans véritable concertation ni des personnels ni des élus locaux, se fût mise en place comme dans du beurre. Bref passons… Quelque chose me dit que nous n’avons pas fini de revenir sur les impacts de ces ateliers périscolaires, qui permettront aux chères têtes blondes, brunes et rousses de découvrir dans l’émerveillement et la joie les mystères inexplorés de la civilisation swahili, de la danse bretonne, du galoubet et de la construction de menus objets en bois (non, je n’invente rien ! je me réfère à quelques reportages de France 2 sur la question), toutes activités qui méritaient, effectivement, que l’on chamboulât l’emploi du temps des classes en mécontentant à la fois les parents et les enseignants dans leur majorité. En cette année 2013 où l’on commémore le centenaire de la Recherche, il est clair que le « temps perdu » a le vent en poupe, si je puis oser la métaphore talonnesque[iii].

 

En fait, voyez-vous, aujourd’hui, la Présidente se force. Comme le Figaro (celui de Beaumarchais, pas le journal…), elle rit, de peur d’avoir à en pleurer, -- et c’est d’un rire crispé. Presque un an après l’infortunée Lise Bonnafous à Montpellier, notre collègue Pierre Jacque, professeur d’électronique au lycée Antonin Artaud de Marseille, a mis fin à ses jours la veille de la pré-rentrée, en laissant une lettre[iv], largement publiée sur la toile et qu’il faut faire connaître sans relâche, où il exprime sa révolte et sa colère devant ce que sont devenus le métier de professeur, le système éducatif en général, et la filière électronique dite STI2D en particulier, dont les enseignants ont été placés en reconversion forcée suite à une réforme mal ficelée (une de plus) et imposée d’en haut sans concertation, (comme d’habitude).

 

Des personnels mal traités et maltraités, jadis insultés par leur ministre, toujours méprisés par les parents (surtout et y compris les fédérations d’iceux), peu ou pas du tout soutenus par leur hiérarchie, parfois même harcelés[v], ça commençait à se savoir. Des enseignants rendus malades par un empilement de réformes techno-bureaucratiques aussi inefficaces qu’autoritaires, « La Verrière »[vi] en est pleine. Mais des professeurs conduits à se donner la mort, comme dans la police, comme à France-télécom, c’est semble-t-il un fait nouveau, même si, selon Daniel Arnaud, les pourcentages des suicides dans l’Education Nationale sont également bien placés dans ce macabre palmarès de l’horreur ordinaire.

 

Pierre Jacque était un professeur dévoué, compétent, attaché à ses lycéens et à la transmission des savoirs. Ingénieur de formation, autrement dit cadre sup’, il avait choisi de devenir professeur dans le service public de l’Education Nationale, c'est-à-dire de servir au lieu de se servir, et d’offrir ses compétences à des lycéens trop souvent en difficulté, pour les aider à sortir de la spirale de l’échec. Puis vint la réforme de la filière, qui transforma l’électronique en une sorte de bouillie estampillée « développement durable » pour faire passer l’arnaque[vii], mettant les enseignants en reconversion forcée et les élèves dans l’impasse. Tout ce en quoi notre malheureux collègue avait cru, l’élévation du niveau de formation, le combat pour une authentique réussite scolaire, la transmission de véritables savoirs, tout ceci tournait en un affreux jus de boudin dont l’imposture du bac, dénoncée avec indignation dans cette lettre-testament qu’il a laissée en témoignage, a constitué en quelque sorte le point d’orgue fatal. Comme il devait aimer l’Ecole, son métier, sa matière, pour en arriver à choisir de mourir pour eux ! Dans quel désespoir devait-il se sentir pour passer ainsi à l’acte, -- et dans quelle impasse militante, pour n’avoir d’autre choix que de faire de son suicide « un acte politique », pour reprendre l’expression de son collègue et camarade Antoine Hollard, et tenter ainsi, en attentant à sa propre vie, de provoquer un choc, un "éveil des consciences" !

Il est tout à l’honneur du SNES, dont Pierre Jacque était un militant, d’avoir, en accord avec la famille, diffusé ce texte où notre collègue déplore pourtant à plusieurs reprises l’absence de réactivité de son syndicat. Mais c’est l’ensemble de ce que l’on appelle, pour faire vite, « la communauté éducative », qui doit se sentir aujourd’hui interpellé.

 

Qu’allons-nous faire maintenant ? Comme après la mort de Lise Bonnafous, nous sentir très très mal, nous indigner, et puis tourner la page, parce que « l’aéropostale passe toujours » et que « the show must go on » ? Certes, il serait indécent d’exploiter la mort de notre collègue à des fins bassement partisanes et de tirer sans vergogne la couverture à soi vers sa petite ou grande chapelle. Dans ce sens, on ne peut que se réjouir d’entendre Sylvain Grandserre et Jean-Paul Brighelli enfin d’accord[viii] pour dénoncer une politique qui, en dénaturant ce qui fait l’essence même du métier, a conduit Pierre Jacque à se supprimer.

Car c’est une politique qu’il nous faut sans cesse dénoncer, et d’abord une politique budgétaire, dont le pédagogisme n’a servi que d’alibi théorique, parce qu’il a permis, au nom de valeurs contre lesquelles personne ne peut décemment s’élever (le fameux « intérêt de l’enfant », la réussite pour tous, l’épanouissement des élèves… qui pourrait « tonner contre » sans avoir l’air d’un fou furieux et/ou d’un vieux schmock ?), de réaliser à l’Ecole des coupes claires dont on voit aujourd’hui le résultat : des élèves « en vrac », qui ne sont ni plus épanouis ni plus instruits, des enseignants taillables et corvéables, gérés comme des pions sur un échiquier, aux statuts menacés, réduits à l’état d’exécutants, dépossédés de tout ce qui fait l’intérêt et la « grandeur » (oui, osons le mot) de leur métier, -- bref, un système où tout le monde souffre, tandis que les technos de la rue de Grenelle, de la Cour des Comptes et autres Comités Théodule planchent sans faiblir sur la ixième grrrrande réforme qui mettra définitivement le système à bas, mais pour son bien, naturellement.

 

On peut penser que l’institution Education nationale, mère ingrate, marâtre mal-aimante, ne vaut pas que l’on se sacrifie pour elle. Mais c’est pour ses élèves, pour la conception qu’il avait de la transmission et du métier, que Pierre Jacque a choisi de se supprimer. Sa mort volontaire avait pour but d’éveiller les consciences. Alors, réagissons, restons debout, osons dire NON ! Le meilleur hommage que nous puissions rendre à notre infortuné collègue, c’est de nous battre et de résister.

 

Le site de RECONSTRUIRE L’ECOLE, entièrement mis à jour, vous souhaite malgré tout une bonne rentrée… http://www.r-lecole.fr

 

[i] Meilhac, Halévy et Offenbach, La Vie parisienne, air de la veuve du Colonel.

[ii] http://tempsreel.nouvelobs.com/education/20130905.OBS5764/rythmes-scolaires-a-paris-ca-a-ete-le-boxon.html

[iii] Achille Talon, par Greg. Un indispensable, à inscrire sans tarder au programme de l’agrégation.

[iv] http://www.aix.snes.edu/IMG/pdf/hommage_a_pierre_jacque.pdf

[v] Cf. l’indispensable petit livre de Daniel Arnaud, Le Harcèlement moral à l’Ecole, dont j’ai rendu compte voici quelques mois ici même : http://leblogdelapresidente.over-blog.com/article-les-enseignants-se-cachent-pour-mourir-117486107.html

[vi] Pour ceux qui l’ignorent encore, l’Institut Marcel Rivière de La Verrière (Yvelines) est la maison de santé psychiatrique de la MGEN…

[vii] Voir à ce sujet sur Bonnet d’Ane, le blog de J.-Paul Brighelli, les éclairantes explications de « Zorglub » : http://blog.causeur.fr/bonnetdane/pour-la-peau-dun-prof,00406

[viii] A 35 minutes et 20 secondes : http://podcast.rmc.fr/channel36/20130904_gg_1.mp3

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commentaires

R
Un autre texte à ce sujet.<br /> http://www.mezetulle.net/article-un-monde-ou-les-professeurs-se-suicident-par-a-j-mougin-120194716.html
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T
merci pour cet article edifiant
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