Voici donc, tout frais sorti, le rapport de la Grrrrande Concerrrrrtation, tel que vous pouvez le trouver en ligne ici :
http://www.refondonslecole.gouv.fr/la-demarche/rapport-de-la-concertation/
… cinquante pages que la Présidente, n’écoutant que son dévouement à la Cause de l’instruction publique, vient de lire avec l’attention requise -- et, toute modestie mise à part, elle a bien du mérite.
Comme d’aucuns l’ont déjà relevé, le sarcasme n’est pas mon fort. Je vais donc, avec toute l’objectivité dont je suis capable, proposer à celles et ceux qui n’ont ni le temps ni le courage de s’avaler ce pensum, une petite synthèse des préconisations dudit rapport, cum commento.
L’évaluation, c’est bien connu de tous les enseignants, ne doit pas être décourageante a priori, mais valoriser avec bienveillance les points positifs de la prestation.
C’est donc de très bonne grâce que je reconnais aux rédacteurs de ce rapport un certain talent, et même un talent certain, pour dire tout et son contraire, avec un art consommé de la synthèse fumeuse où seuls des esprits chagrins reconnaîtront l’expérience acquise lors d’antérieurs congrès du Parti Socialiste : comment contester la réaffirmation (p. 3) de « la place centrale de l’École comme lieu d’acquisitions et d’apprentissages, comme facteur d’intégration sociale, comme instrument de la promesse républicaine : celle d’un égal accès au savoir, un savoir qui instruit, éduque, émancipe et permet l’insertion dans la société » ? Qui diable pourrait s’opposer à la généreuse ambition « d’inverser une évolution des performances dont les indicateurs nationaux comme internationaux montrent qu’elle se dégrade » (ibid.), idée reprise pp. 9 sqq., où il est reconnu que « le niveau moyen des acquis scolaires stagne », doux euphémisme pour admettre, sans en avoir l’air, que le niveau baisse tout en ne baissant pas, comme la flèche ailée de Zénon ? Comment ne pas se réjouir en lisant, toujours p. 3, qu’il ne s’agit « ni de se contenter d’aménager l’existant ni de mettre à bas tout l’édifice, (ni de) refonder à partir d’une tabula rasa, mais (de) réexaminer pour donner du sens en se ressourçant sur des valeurs » ? Comment ne pas applaudir en lisant, p. 13, que « c’est (au primaire) que les élèves acquièrent -- ou non -- les bases solides nécessaires à la poursuite de leurs études » ? De même, tout Républicain digne de ce nom ne peut que souscrire au souci, p. 14, « d’éviter les affres du communautarisme et du repli identitaire », et boire du petit-lait, p. 23, devant le rappel d’une évidence douce comme le miel, selon quoi « c’est à l’École, en classe, que se transmet le socle disciplinaire robuste, solide et structuré à partir duquel se construisent les apprentissages dans leur continuité, leur progressivité et leur rigueur». On appréciera également à leur juste valeur la pertinence de remarques (passim) concernant la scolarisation des handicapés, l’importance de l’éducation à la sexualité, la lutte contre l’homophobie et le refus des discriminations.
Certes, en se montrant comme qui dirait ronchon, on pourrait objecter que « les organisations représentatives » (p. 4) ont été choisies selon des critères quelque peu obscurs (voir http://leblogdelapresidente.over-blog.com/article-ne-nous-peillon-pas-de-mots-109776708.html), ce qui explique sans doute, toujours p. 4, que « le débat (…) n’a pas fait apparaître de clivages insurmontables », constat somme toute logique à partir du moment où les voix éventuellement discordantes n’étaient pas invitées à participer au concert. Mais n’épiloguons pas et revenons à notre rapport.
Je passerai rapidement sur toute la partie constat-diagnostic, de nature essentiellement sociologique et sur laquelle, en dépit de quelques divergences à la marge, on ne peut que s’accorder, en particulier pour tout ce qui concerne le creusement des inégalités scolaires mettant en danger le projet républicain – même si, on l’imagine, nous ne partageons pas forcément l’analyse de ses causes.
En revanche, les choses commencent sérieusement à se gâter p. 16, avec une présentation extrêmement tendancieuse de ce que les rapporteurs appellent « le cercle vicieux de concurrence, d’anxiété et de défiance » dans lequel est entrée notre Ecole, et qui serait lié à des « évaluations vécues comme des sanctions », tout comme « le mal-être scolaire » (p. 17) est associé à « des disciplines dont certaines, notamment celles appuyant la sélection, sont devenues anxiogènes pour les élèves parvenus à des étapes déterminantes de leur cursus » -- comprendre, naturellement, les mathématiques, sondage à l’appui en note 4. Consternant, parce qu’on voit venir l’arnaque, lentement mais sûrement.
C’est en effet à ce moment-là que le rapport devient anxiogène pour l’infortunée Présidente, qui, en lisant (toujours p. 17) que « les pratiques éducatives traditionnelles peuvent jouer négativement sur l’estime de soi, la motivation des enfants », et « qu’elles ne s’inscrivent plus dans l’évolution des qualités humaines mises en avant par notre société (comme) la créativité, l’imagination, la collaboration… », est saisie d’un noir pressentiment et parcourue d’un frisson d’horreur anticipative. Tout le discours d’accroche laïque qui a précédé, toutes les ressources de la sociologie consensuelle, toute la phraséologie républicaine des premières pages, se trouvent désamorcés, d’un seul coup d’un seul, par ces quelques phrases où l’on peut décrypter quelque chose qui s’apparente, volens nolens, à un retour du refoulé : le texte a beau marteler en long et en large la nécessité de transmettre et d’instruire, ce qui rentre par la fenêtre ici, c’est le désir mortifère du pédagogue-sic d’en finir une bonne fois pour toutes avec les savoirs savants, comme disent les khuistres, pour, à coups « d’expérimentations innovantes » (p. 19) et à grand renfort de numérique, tourner la page ringarde de la norme culturelle au profit de la « culture juvénile ». C’est donc avec effroi que l’on peut lire, en bas de la p. 20, qu’ « on voit bien pourtant tout le profit que l’institution scolaire pourrait tirer à s’appuyer sur les nouvelles pratiques des jeunes notamment en termes de capacités de communication entre pairs, de fabrication de solidarités horizontales et donc de collaboration, de maîtrise des nouvelles technologies ». Ben NAN. On ne voit pas en quoi le bidouillage sur les réseaux sociaux et la pratique du copier-coller pourraient contribuer à développer l’instruction publique, sauf à confondre pédagogie et démagogie…
On comprend alors ce que signifie « revisiter » au bas de la p. 21 : « (L’Ecole) doit donc se renouveler et se refonder, autour de valeurs qui lui donnent son sens et entrer dans la modernité, en revisitant (c’est moi qui souligne) les missions et les principes qui la gouvernent et auxquels les Français sont attachés » : « revisiter », c’est comme dans les mises en scène de Dmitri Tcherniakov (ceux qui ont vu son désastreux Don Giovanni à Aix il y a deux ans me comprendront) : on assassine, on découpe en tranches, on disperse façon puzzle, puis on recolle tout dans n’importe quel ordre et on attend que ça fasse sens – et ça fait toujours sens, comme un cadavre exquis, ou le joli poème dadaïste de Tristan Tzara.
Dans ces conditions, il n’est pas surprenant de trouver ou plutôt de retrouver, dans la deuxième partie du rapport (pp. 22 sqq.), toutes les formules magiques de la vieille pédagogie moderne -- comme Salvador Dali parlait du « vieil art moderne » : « transformer les contenus d’enseignement (…) mais aussi les modalités de leur transmission et leur appropriation » (p. 23), « dépass(er) les frontières académiques traditionnelles » (p. 24), prendre acte du fait que « la posture encyclopédiste, qui a tant marqué la culture scolaire française traditionnelle, est (…) dépassée » (ibid.), et, mirabile visu, l’immarcescible tarte à la crème de l’«apprendre à apprendre » via « les projets pluridisciplinaires », les « nouveaux registres de connaissances et de savoirs », « l’approche par compétences » ((ibid. et derechef), la « relance des TPE » (p. 37) « placer l’élève, l’enfant, l’adolescent et son bien-être au cœur des préoccupations » (p. 31), le « collège où l’on apprend autrement » (p. 34), « plutôt qu’une notation-sanction, une évaluation positive simple et lisible » (ibid.)… Bref, tout le jacassin du SGEN et de l’UNSA mis à la portée des caniches ! Tout ceci, logiquement, va dans le sens d’un allégement des programmes, en particulier « à l’école élémentaire (où ils sont) jugés trop lourds » (p. 32), du « remplace(ment) progressif du redoublement, coûteux et inefficace » (p. 35) et, retour du serpent de mer, de « la suppression effective des devoirs à la maison » (p. 33), qui ravira à peu de frais les géniteurs d’apprenants : nihil novi sub pedagogistico sole.
Tout ceci est développé pp. 30 sqq., sous la rubrique « refonder par la pédagogie », qui réaffirme l’importance des « pratiques innovantes », au prétexte que « l’école est restée dans l’ensemble fidèle à une pédagogie frontale traditionnelle » -- ce qui laisse rêveur quant à la connaissance réelle, par les crânes d’œuf de la commission, de ce qui se fait concrètement dans les classes : sans doute aurait-on dû leur proposer un petit stage chez nos amis du GRIP-SLECC ? Car il faut « consolider les premiers pas dans la lecture », certes, mais selon les « pratiques innovantes » dont « les exemples étrangers et les enseignements de la recherche » prouvent l’efficacité. On retrouve ici l’imparable raisonnement selon lequel l’échec scolaire vient d’une supposée absence d’innovations, et non d’expérimentations hasardeuses – ce qui me rappelle irrésistiblement les raisonnements du regrettable Staline, expliquant que l’échec de la collectivisation tenait au fait qu’on n’avait pas assez fusillé de koulaks.
C’est donc en fonction de ces « nouvelles pédagogies », sans oublier le numérique, nouveau Schibboleth, que va se construire « une formation des enseignants de qualité » (p. 30), « qui fera toute sa place à la dimension professionnalisante, aux côtés des savoirs académiques indispensables » (Ah tout de même).
On reconnaît ici les influences délétères du SGEN-CFDT et de l’UNSA-FEN, dont on peut identifier à plusieurs reprises les plus risibles dadas, par exemple au bas de la p. 31, avec la proposition, prétendument pour « fluidifier la transition » entre l’école et le collège, d’une « redéfinition des cycles pouvant être situés sur les deux niveaux d’enseignement « : il ne restera plus alors qu’à recréer la bivalence et le corps des PEGC !
Sans doute pour les mêmes raisons, en ce qui concerne le second degré, il n’est pas envisagé (p. 36) de « remettre en cause la réforme en cours dans les voies générales et technologiques » dite réforme Descoings, qui a transformé les lycées en usines à gaz. Seule « une évolution à moyen terme, par les pratiques, l’expérimentation et la formation est privilégiée », ce qui est, si l’on sait lire, un excellent moyen de ne rien faire de sérieux pour revenir en arrière : pour une fois que l’on n’aurait pas reproché au gouvernement un rétropédalage, il semble que les rédacteurs du rapport aient préféré maintenir l’existant…
Dans la rubrique catéchisme citoyennisant, gardons pour la bonne bouche, p. 25, « la participation aux instances représentatives et/ou à la vie associative de (l’) établissement », les « projets citoyens » p. 26, le « vivre ensemble » (ibid.), et une notion qui personnellement m’inquiète un peu dans sa formulation, celle d’un « pluralisme raisonnable » (p. 26 toujours), qui me semble sonner comme un bémol dans ce beau discours laïque.
On ne sera pas davantage étonné de retrouver le vieux couplet des « relations interpersonnelles horizontales entre tous les acteurs de l’École » (bas p. 26), dont il est clairement expliqué en haut de la page suivante que « c’est par ce type de méthodes, bien davantage que par des cours magistraux, que l’École peut, par exemple, lutter contre les stéréotypes racistes, sexistes ou homophobes ». L’idée née des Lumières, selon laquelle la culture savante, qui donne à chacun les outils de la raison, constitue la meilleure arme contre les préjugés, n’a manifestement pas effleuré les rédacteurs du rapport, quelle qu’ait été par ailleurs la tonalité « républicaine » de l’avant-propos.
Et c’est ainsi, p. 27, qu’on en arrive sans surprise à « la nécessaire rénovation du socle commun », à la « rénov(ation) de notre système d’évaluation qui produit trop souvent de la démotivation et de la mésestime de soi » (p. 28), ce qui va enchanter M. Antibi, et à une ouverture de l’Ecole aux familles « afin de leur reconnaître davantage de responsabilité dans les parcours et l’orientation de leurs enfants » (ibid.), avec en particulier « davantage de liberté (…) dans l’orientation en fin de 3e », et même la proposition « d’expérimenter la possibilité de laisser le dernier mot aux parents en matière d’orientation en fin de seconde (…) et sur le redoublement à tous les niveaux de la scolarité » (p. 38). -- Les enseignants en seront-ils pour autant dispensés d’assister aux conseils de classe ??? Oui, je sais, j’exagère – mais à peine.
Si je veux être totalement objective et ne pas faire preuve de malhonnêteté intellectuelle, j’observe avec plaisir que le rapport insiste, p. 29, sur la nécessité d’outils « moins prescriptifs », avec « (des) réformes (qui) doivent être désormais mieux préparées, selon un processus participatif, associant les acteurs de terrain, personnels comme institutionnels », et une « conception des programmes scolaires (qui) prenne en compte l’avis des enseignants ». Cela dit, la création (bas p. 29) d’une « instance indépendante qui coordonnerait (la) politique d’évaluation » des réformes peut laisser craindre, une nouvelle fois, la prise de pouvoir par les experts en expertisation de l’expertise.
Un mot, enfin, sur la question des « rythmes éducatifs adaptés et respectueux des besoins des enfants » (p. 40). Loin de moi l’idée d’entrer dans une polémique complexe sur la valeur scientifique de la chronobiologie (personnellement, mon pic de vigilance se situe entre 23 h et minuit, mais je ne pense pas pouvoir convoquer mes étudiants sur ce créneau-là sans créer quelques graves malentendus…), mais on peut s’étonner de voir que l’alibi de ladite chronobiologie permet de modifier l’approche du temps scolaire sans garantie d’amélioration de la performance des élèves (pardon pour les génitifs en cascade…) , et au grand dam des enseignants qui, de facto, vont travailler plus pour gagner aussi peu, surtout si l’on envisage, de manière totalement irréaliste, « d’allonger d’une à deux semaines la durée de l’année scolaire » et de « reconquérir le mois de juin, en réformant les procédures d’orientation et de passage des examens de manière à pouvoir retarder les conseils de classe à la fin du mois « (p. 41). On peut même se demander si la proposition (p. 34) de « moduler les emplois du temps en fonction du projet pédagogique (et) envisager des emplois du temps plus souples et évolutifs » n’ouvre pas la porte à l’annualisation des services.
Bref, il y avait les geonpis, il y a à présent les cucos... Mais rien ne dit que le gouvernement capitulera aussi vite devant les enseignants qu’il l’a fait face aux patrons de start-up ;-(
Toute la fin du rapport, « des personnels formés et reconnus » (pp. 44 à 50), fera l’objet d’une autre note, celle-ci étant déjà fort longue pour le format du blog, et parce que le sujet est suffisamment grave et complexe pour justifier une analyse à part entière. Mais, autant le dire tout de suite, il n’y a pas grand-chose à sauver de ce côté-là non plus…
Bref, ceux et celles d’entre nous qui avaient espéré autre chose que la reconduction paisible, obstinée et réitérée de toutes les procédures ayant fait preuve de leur inefficacité, pour ne pas dire de leur pouvoir de nuisance, n’auront que leurs yeux pour pleurer. Les autres n’en auront retiré que l’amère satisfaction cassandrienne d’un « je vous l’avais bien dit », qui n’a jamais donné le sourire qu’aux cyniques dont nous ne sommes pas.
En outre, je crois bien que je vais devoir rester brune … (voir http://leblogdelapresidente.over-blog.com/article-dans-concertation-il-y-a-d-abord-certation-107924933.html ) car ce n’est pas demain la veille, sauf rebondissement inespéré, que je deviendrai Casque d’Or. Dommage : j’aurais bien tenté le coup, finalement.
Apostille :
Au terme de cette éprouvante lecture, je tiens à remercier très fort le domaine Riberach à Bélesta en Roussillon, http://www.riberach.com/articles-2/2-7-rouges/ , le sympathique chef Cyril à Meyreuil pour son délicieux repas http://www.biochef.fr/ , tous les contributeurs du forum NéoProfs http://www.neoprofs.org/ et naturellement John, mes amis et camarades du GRIP-SLECC http://www.slecc.fr/GRIP.htm, sans oublier, pour la Beauté qui sauvera le monde, l’immense Paolo Fresu http://www.youtube.com/watch?v=C99coGU1Jhk, qui m’ont tous, d’une manière ou d’une autre, soutenue ce soir dans cette dure épreuve.
Les réactions :
Dernière minute : Ph. Meirieu se dit déçu par le rapport Refondation :
et le SNES est d’ores et déjà vent debout : ça va saigner ! http://www.neoprofs.org/t53544-message-du-snes-p-suite-a-la-publication-du-rapport#1658644
La réaction du SNALC-FGAF :
http://www.snalc.fr/affiche_article.php?actu=1&id=752&id_rep=281
Une analyse d'Estelle Manceau pour le Collectif "Sauver les lettres"
Le communiqué de presse de SLL, en date du 15 octobre 2012 : « Refondons l'école de la République : un rapport inquiétant »
Le commentaire un peu accablé de J.-P. Brighelli, http://blog.causeur.fr/bonnetdane/la-montagne-et-la-souris,00384
Une analyse extrêmement critique du rapport, par le sociologue Choukri Ben Ayed, sur le site du jus pédagol : http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2012/10/09102012Article634853618631571249.aspx
Et n’oubliez pas le site de Reconstruire l’Ecole, http://www.r-lecole.fr/