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12 mai 2015 2 12 /05 /mai /2015 12:40
ABISTIS, DULCES CARICAE ? (la fin des haricots ?)

Quinze jours de mamy-sitting dans une « zone blanche » (comprendre : au wifi cafouillant), reliée à l’actualité par une information télévisée partiale, partielle et schématique, et une presse écrite ne brillant guère par ses facultés d’analyse, quinze jours dans les tièdes et fades effluves de la courgette vapeur et de la soupe de légumes, bref, quinze jours bien loin des fracas de la bataille.

« Suave mari magno…», écrivait, pour illustrer la sérénité du sage épicurien, le poète Lucrèce. Aucun plaisir à se tenir loin des combats, ah fichtre non, plutôt un malaise à imaginer les collègues lutter, sans pouvoir, modestement, apporter mon pavé à la barricade !

Toujours est-il que le retour à la « civilisation » et aux affaires de l’heure, réforme du collège et nouveaux programmes, fut pour le moins difficile. Session d’intense rattrapage sur le ouèbe, sites syndicaux (les meilleurs et les pires…), associations de spécialistes, blogs, défenseurs des humanités, germanistes, historiens, Collectif Sauver les Lettres, Arrête ton char, APLAES, CNARELA, NéoProfs, réseaux sociaux … Je ne sais si j’ai tout « avalé », mais suffisamment pour tenter, dans cette ambiance globalement détestable, de poser clairement les problèmes, de faire le tri dans ce déluge internautique, et de fournir (fourbir ? ) avec du recul les armes de la critique.

.Quelques préliminaires d’abord: parce qu’elle est femme, jeune, mignonne et d’origine marocaine, Najat Vallaud-Belkacem est parfois attaquée d’une manière indigne. Je ne donnerai en aucun cas les liens vers des sites haineux qui déversent sur elle des tombereaux de calomnies (du genre : manœuvrer pour instaurer l’enseignement de la Charia à l’école !!!), vous êtes assez grands pour les trouver tout seuls au cas où vous auriez besoin d’un émétique puissant. Bref, la ministre tient suffisamment de discours contestables pour que l’on n’aille pas, en propageant des calomnies, alourdir la barque. Et si je suis clairement opposée aux réformes qu’elle porte, je la défendrai bec et ongles contre le torrent de boue dans lequel elle est parfois traînée.

Parce qu’elle a des yeux de gazelle et un joli sourire, on lui reproche d’être sotte. « Belcassine », évidemment. Tout comme naguère « Gogolène ». Tentante paronymie, certes, mais complètement à côté de la plaque. Cette jeune femme est tout ce qu’on veut, sauf stupide. Ce genre de calembour lui permet, en effet, d’adopter une posture de martyre, victime de la goujaterie et du sexisme de ses détracteurs. N’oublions pas qu’elle a été formée par Ségolène Royal : le sempiternel « C’est parce que je suis une femme que vous vous exprimez ainsi », est un gimmick efficace et qui marche toujours. Incompétente sans doute, bloquée dans ses certitudes certainement, idéologue œuf corse, mais nunuche, certainement pas. Rusée, et fine mouche. Quel est l’intérêt de se montrer insultant envers madame Vallaud-Belkacem, qui, formée à Sces-Po et drivée par tout un staff d’experts en comm’, saura retourner le joke à son avantage ? Nous avons des arguments à apporter, des points de contestation précis à opposer : faisons-le en gardant notre sang-froid, même si ce n’est pas toujours facile. Nous avons tout à y gagner.

Deuxième remarque (oui, ça fait beaucoup de préliminaires, je l’avoue, mais chacun sait que la suite n’en est que meilleure... ): je suis absolument sidérée du culot avec lequel tous les anciens ministres UMP de l’Education se drapent, pour attaquer la réforme, dans la toge des défenseurs de la culture et des humanités. Quel est le bilan de MM. Chatel, Darcos, de Robien, Fillon, Ferry ? Qui a eu cette idée folle du socle commun de compétences ? Qui a mis en place une réforme des lycées si aberrante qu’elle en a fait des usines à gaz ? Qui a supprimé des centaines de postes de professeurs ? Qui a intégré les IUFM à l’Université (ou désintégré l’Université dans les IUFM) ? Cerise sur le gâteau, Nicolas Sarkozy, qui fit subir tant d’outrages à La Princesse de Clèves, se pose désormais en fin lettré après avoir été frappé par la grâce en relisant (hi hi hi pffff) Mille sept cent quatre-vingt-treize (sic), l’immortel chef-d’œuvre de Victor Hugo.

De ces soutiens nous nous passerons sans difficulté. Si ces personnes veulent vraiment faire quelque chose contre la réforme et s’il leur reste encore un peu de vergogne, qu’elles se taisent, par pitié. Leur responsabilité dans la situation actuelle est aussi écrasante que celle du Parti Socialiste, et les professeurs ont autant de comptes à leur demander qu’à MM. Peillon, Hamon et Mme Vallaud-Belkacem réunis.

Un dernier point concernant ceux qui nous accusent de nous contenter de l’existant, et, en nous opposant aux réformes, de maintenir dans leur échec et leur décrochage les élèves les plus gravement en difficulté. Le reproche est tout de même un peu gros, de la part d'individus qui, pendant des années, ont chanté sur tous les tons que « le niveau monte » et que tous ceux qui déploraient sa baisse, de Maschino à Brighelli en passant par Terrail ou Nico Hirtt, étaient d’affreux immobilistes réac de gauche et même réac tout court. Il a fallu que notre classement PISA baisse dans des proportions inquiétantes pour que la prise de conscience se fasse enfin. Et comme nous sommes au bord du gouffre, la ministre et le CSE nous proposent de faire un grand pas en avant…

Même si tout a été dit à propos de la réforme du collège et des nouveaux programmes qui vont avec, je voudrais insister sur quelques points qui n’ont peut-être pas toujours été soulignés avec suffisamment d’acuité.

En ce qui concerne l’enseignement des langues anciennes (pas assez « sexy », j’y reviendrai un autre jour…), la ministre a été piégée par la patrouille de désintox d’ARTE (1) qui souligne bien sa « vision franchement optimiste » et le volume réduit de l’option LA proprement dite. Mais faisons-lui la grâce (décidément, c’est ma journée de bonté !) de la supposer de bonne foi, si si si si. Demeurent tout de même, au minimum, deux problèmes non réglés : d’une part (mèn) si j’ai bien suivi le film, 2 EPI différents par an, cela signifie que MÊME SI TOUS LES ELEVES choisissent l'EPI « Langues et cultures de l'Antiquité », ils auront en tout et pour tout une vingtaine d'heures dans toute leur scolarité à consacrer aux dites « langues et cultures ». Comment peut-on prétendre que tous les élèves auront, dans ces conditions, accès au latin? D’autre part (), la mise en place de l’option Langue Ancienne dans tel ou tel collège dépendra du chef d’établissement, lui-même soumis, depuis des années, à des DHG (dotations horaires globales) de plus en plus riquiqui. Même en supposant que le Principal soit favorable au latin-grec (ce qui n’est pas tout cuit, sans vouloir médire …) de quel volant horaire va-t-il disposer pour faire vivre cette option, quand on voit que naguère, dans un grand lycée de centre ville qui s’enorgueillit à juste titre de ses prépas (2) l’enseignement des humanités, dans un contexte budgétaire contraint, s’est trouvé fort malmené ?

Autre point inquiétant, -- parmi une foule d’autres je vous l’accorde, mais j’ai déjà été bien longue je le crains : la question des programmes. A partir du moment où l’on décide que tel ou tel point, par exemple en histoire, passe « au choix » de l’enseignant, il n’y a plus de cadre national, mais un enseignement à deux vitesses, non seulement (non solum) en fonction des établissements, ce qui existe déjà, hélas, mais encore (sed etiam) entre collègues. Et qu’on ne vienne pas justifier cette aberration au nom d’une hypothétique « liberté pédagogique »-- curieusement brandie par des gens qui jusqu’ici s’y sont opposés au nom de la sacro-sainte pensée unique iufémienne et officielle. Si « liberté pédagogique » il y a, comme le rappelle très justement dans son blog « Mezetulle » Catherine Kintzler (3), elle est dans les méthodes, et non dans les programmes, qui ne doivent pas devenir une carte de restaurant dans laquelle on pioche à son gré ou à celui des élèves, mais demeurer un cadre strict et surtout national. Faire confiance aux professeurs, qui sont, jusqu’à plus ample informé, des praticiens de terrain et les premiers professionnels de l’éducation, ce n’est pas leur permettre de sabrer tel ou tel point selon des critères plus ou moins flous, mais les laisser transmettre leur savoir de la manière qui leur semble la plus adéquate. Ce qui enchante les tenants des réformes (celle du Collège comme celle des programmes), c’est ce qu’ils baptisent du joli nom d’ « autonomie » (« on offre un surcroît d’autonomie aux établissements », explique la ministre au JDD (4) ) mais qui est de fait (de facto…) un pas de plus dans la déréglementation pour ne pas dire l’atomisation du cadre national et républicain, renforcée par la mise à disposition de 20% du volume horaire (5) -- tout de même beaucoup, surtout pour écrire en espagnol des « tracts » (sic) à destination des horticulteurs du Kenya (6).

S’obstiner, sous prétexte qu’elle a été votée par un CSE pour le moins complaisant, à maintenir une réforme dont l’écrasante majorité des collègues ne veulent pas, ce n’est plus de l’obstination, mais une persévérance coupable. Pour « marcher », une réforme doit d’abord convaincre ceux qui vont la mettre en œuvre, c'est-à-dire les enseignants eux-mêmes, qui sont au premier rang sur le front scolaire et du malheur social (zeugma). Dans l’intérêt des élèves, la ministre s’honorerait, plutôt que d’user d’éléments de langage préfabriqués et de tabler sur une comm’ hors de propos (7), d’entrer en négociation avec les syndicats représentatifs, et de tout mettre à plat quand il en est encore temps. Remember Allègre…

  1. www.youtube.com/watch?v=phuv1FFCg_4&feature=youtu.be
  2. http://leblogdelapresidente.over-blog.com/article-a-en-perdre-son-latin-83555846.html et http://leblogdelapresidente.over-blog.com/article-a-en-perdre-son-latin-episode-2-85186578.html
  3. http://www.mezetulle.fr/reforme-des-colleges-et-liberte-pedagogique/
  4. http://www.lejdd.fr/Politique/Najat-Vallaud-Belkacem-Le-probleme-c-est-la-passivite-des-eleves-au-college-731592
  5. La réforme prévoit de consacrer 20% du temps d’enseignement à l’autonomie : d’une part des heures pour mener des projets interdisciplinaires dans des thématiques définies par le ministère et pour accompagner les élèves dans leur travail et leur parcours, d’autre part des marges d’heures-profs pour pouvoir travailler en groupe réduit. Le conseil pédagogique, instance d’allélo-flicage du plus grand intérêt, aura un rôle essentiel à jouer pour utiliser ces marges d’autonomie.
  6. http://leblogdelapresidente.over-blog.com/2015/04/clisthenum-donare-ensuita-purgare-postea-saignare.html
  7. Ce sera l’objet de ma prochaine notule…
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commentaires

I
Suite :<br /> Remember Allègre…<br /> Mais non. 15 ans ont passé, ils ont appris.<br /> C'était un gros lourdaud malappris, à une époque où les responsables syndicaux avaient de la tenue.<br /> Maintenant comme le PS a appris de la com, ils ont mis comme ministre une femme, d'origine maghrébine, pour empêcher toute protestation, qui serait taxée immédiatement de sexisme et de racisme. Tu imagines des défilés dans les rues criant Najat démission ?<br /> Même si on obtenait sa démission, le gouvernement trouverait à la place quelque autre sans doute pire.<br /> Remember Allègre, tiens justement, tu te rappelles qui lui a succédé ? Lang.
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I
"entrer en négociation avec les syndicats représentatifs", écris-tu, chère présidente ...<br /> Mais tu sais combien ils ont l'habitude de se prosterner, pour accéder à la gamelle.<br /> Ma pauvre.
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